Ibra Ndoye et Bernard Taverne présentent le site partenaire de l’agence au Sénégal

A l’occasion des journées scientifiques du site partenaire Sénégal de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes qui se tiendront les 16 et 17 mai prochains à Dakar, Ibra Ndoye et Bernard Taverne, co-coordinateurs du site partenaire reviennent sur la création et présentent le fonctionnement actuel de celui-ci.

Publié le 12 mai 2023

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Bonjour Messieurs Ndoye et Taverne, pouvez-vous vous présenter s’il vous plait ?

Ibra Ndoye : Je suis actuellement président du conseil d’administration du CRCF* (centre de recherche et de formation sur le VIH et les maladies infectieuses émergentes) et co-coordinateur du site partenaire Sénégal de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes. J’ai été coordonnateur du programme de lutte contre le sida du Sénégal de 1996 à 2001, puis secrétaire exécutif du conseil national de lutte contre le sida de 2001 à 2013.

Bernard Taverne : Je suis anthropologue, chercheur à l’IRD au sein de l’unité de recherche TRANSVIHMI qui est basée à Montpellier et dirigée par le professeur Éric Delaporte. J’ai commencé à travailler au Sénégal dans les années 2000 avec l’équipe d’Éric Delaporte sur un programme de recherche qui visait à accompagner les autorités sénégalaises dans la mise en place du programme d’accès aux médicaments antirétroviraux. Depuis 2014, je suis co-coordinateur du site partenaire Sénégal de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes.

* Le CRCF est un centre cofinancé par l’Union européenne, l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes, l’IRD et l’Institut de médecine et d’épidémiologie appliquée de l’hôpital Bichat (IMEA). Le conseil d’administration de l’hôpital de Fann (via le ministère de la Santé au Sénégal) a quant à lui attribué le terrain qui a permis de construire le centre.

De quel constat êtes-vous partis pour créer ce site partenaire ?

Je pense que c’est important d’expliquer d’où l’on vient et, pendant les journées scientifiques, nous aurons l’occasion de parler des 30 ans du site partenaire ANRS Sénégal, qui a été le premier créé par l’agence. Cette coopération France-Sénégal est selon moi un partenariat exemplaire, durable et fonctionnel depuis 30 ans dans le cadre de la recherche, mais également dans celui de la formation de haut niveau. Je pense vraiment que c’est un exemple rare de réussite entre ces deux pays autant sur le plan de la recherche scientifique que sur le renforcement de capacités. Ibra Ndoye

Ibra Ndoye : Nous avons bénéficié d’un premier financement de l’Union européenne sur les projets de recherche dans les années 1987/1988. L’objectif était de renforcer les capacités des directeurs de programmes de lutte contre le sida dans les pays en développement francophones. Ce programme était co-piloté avec nos collègues de l’université d’Anvers, de la London School of Hygiene & Tropical Medicine et de l’IMEA. Nous avons ainsi formé sur la clinique et le management une quarantaine de directeurs des programmes de lutte contre le sida d’Afrique francophone. Ce programme de coopération nous a également permis d’avoir un financement supplémentaire pour organiser les formations des biologistes de référence sur le VIH et les IST dans d’autres pays francophones. C’est comme ça qu’est né le site partenaire Sénégal de l’ANRS.

Il faut aussi rappeler que ce site a vu le jour dans un contexte où beaucoup de frustration subsistait dans les pays africains à cause de l’inégalité d’accès aux traitements antirétroviraux qui avaient pourtant démontré leur efficacité. En effet, bien que 80 % des malades provenaient des pays en développement, notamment africains, nous n’avions pas accès aux traitements qui étaient disponibles dans les pays du nord, alors que ces pays ne comptaient que 10% des malades sur le plan mondial. A la suite de ce constat, nous nous sommes mobilisés et avons manifesté pour que cette inégalité disparaisse. Nous avons ensuite réuni au Sénégal tous les spécialistes du monde francophone en 1997 pour définir des protocoles de traitements adaptés à l’Afrique afin que les africains puissent être traités. De ces réflexions est né le projet ANRS 1215, le premier projet majeure du site partenaire Sénégal dont l’objectif était de démontrer la faisabilité et l’efficacité des traitements antirétroviraux en Afrique.

C’était bien de manifester, mais il fallait aussi montrer aux gens que nous nous agissions pour garantir l’accès aux traitements antirétroviraux aux pays en développement. Ibra Ndoye

 

Au quotidien, comment est-ce que les équipes françaises et sénégalaises s’articulent pour travailler ensemble sur les projets de recherche ?

Même si notre organisation est variable d’un programme de recherche à l’autre, elle implique toujours cette dimension collaborative et partenariale.Bernard Taverne

Bernard Taverne : Il est important de rappeler les modalités de construction des programmes de recherche qui sont définies par l’ANRS. Les programmes de recherche sont en effet bâtis et portés par un binôme d’investigateurs sénégalais et français en co-construction dès leur élaboration jusqu’à leur réalisation. Ensuite, les investigateurs se répartissent le travail entre les spécialistes en fonction des compétences et des sujets.

Quelle place accordez-vous aux jeunes et à leur formation au sein du site partenaire Sénégal ?

Nos formations labellisées CRCF sont ouvertes à tous sans distinction de nationalité. Bernard Taverne

Bernard Taverne : Le CRCF accueille des étudiants et des jeunes chercheurs en stage dans le cadre de leur formation universitaire. Le CRCF propose également des cycles de formations professionnalisantes, dont une formation d’assistant de recherche en sciences sociales. Cette formation de 15 jours est destinée à des étudiants en Master 1 ou 2 de de sciences sociales. Depuis 2018, six sessions ont été réalisées et environ 120 étudiants en ont bénéficiées. Il y a aussi une formation de techniciens d’études cliniques, en tout ce sont aussi six sessions qui ont été réalisées et environ 150 personnes qui ont en ont bénéficiées. En 2022, une première formation en anthropologie des épidémies a été proposée en collaboration avec le réseau anthropologie des épidémies émergentes (RAEE) lors de laquelle une vingtaine d’enseignants-chercheurs en sciences sociales ont été formés à la compréhension des menaces épidémiques, pour renforcer la préparation, la réponse et le rétablissement après une crise épidémique.

Comment s’articulent actuellement les relations du CRCF au niveau international et interinstitutionnel ?

Bernard Taverne : Le CRCF est un pôle d’expertise reconnu au niveau national et international. Plusieurs programmes sont multicentriques. Actuellement, par exemple, une recherche est en cours auprès des personnes âgées vivant avec le VIH, cette recherche est développée à la fois au Cameroun et au Sénégal. Un autre projet vient d’être financé par l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes pour étudier la faisabilité de l’usage des médicaments antirétroviraux injectables chez les adolescents. Il s’agit d’une étude portée par le réseau EVA au Burkina Faso, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal.

Ibra Ndoye : Nous avons la chance de recevoir des financements permettant de mettre en place des projets de grande envergure et je pense que cela témoigne du sérieux et de la rigueur du CRCF et du bon fonctionnement des équipes du centre.

Il faut insister sur l’importance d’inclure les sciences sociales dans la recherche sur les maladies infectieuses émergentes et notamment le VIH. Pour cela, j’aimerais me référer à Philippe Sansonnetti (médecin-microbiologiste, chercheur à l’Institut Pasteur, professeur au Collège de France) qui disait qu’« on ne peut plus considérer uniquement les graves crises sanitaires comme de simples objets médico-scientifiques, la dimension sociologique, écologique et climatique doit être prise en compte et intégrée dans les politiques de prévention et de prise en charge. On a vu l’importance des sciences humaines dans le contrôle de l’épidémie d’Ebola survenue en Afrique de l’ouest en 2014-2015 ».

Quelles sont les grandes priorités de recherches fixées par le CRCF pour les prochaines années ?

 Les défis posés par les maladies infectieuses émergentes sont bien sûr une priorité pour le CRCF. Selon moi, il faut saluer le projet AFROSCREEN. J’estime que c’est un projet avant-gardiste qui a joué un rôle important dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 et qui permettra de préparer la riposte contre de potentielles futures épidémies, notamment pour surveiller les épidémies de tuberculose et de VIH. Il est indispensable que tous les pays, y compris les pays africains, puissent être outillés et formés pour réaliser du séquençage. Ibra Ndoye

Bernard Taverne : Les maladies infectieuses émergentes constituent un axe important, qui a été développé en plus sur les recherches autour du VIH. Actuellement les recherches sur le VIH concernent les nouveaux traitements, les enfants, les personnes âgées et les populations en situation de vulnérabilité de manière plus générale – nous travaillons avec elles sur les enjeux sociaux de prise en charge et de reconnaissance du droit à la santé pour ces populations. La protection sociale et la couverture sanitaire universelle constituent également un thème en cours d’étude.

Ibra Ndoye : Sur le VIH, il est nécessaire de prendre en compte les personnes âgées et les adolescents dans les programmes de recherche. Au Sénégal, nous avons une prévalence faible parce que nous prenons très tôt en charge les personnes vivant avec le VIH (PVVIH), mais lorsqu’on s’intéresse aux données épidémiologiques de nos pays voisins, comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, on constate que 60 % des PVVIH sont des adultes. Il y a donc un réel enjeu à cibler les personnes âgées et les jeunes.

Qu’attendez-vous de ces journées ?

Bernard Taverne et Ibra N’Doye : L’objectif de ces deux journées est de contribuer à l’animation scientifique du pays en permettant aux chercheurs de se réunir et d’échanger. Nous allons présenter l’étendue des recherches réalisées avec le soutien de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes et diffuser les résultats des projets de recherche en cours.