Lauréates des prix de thèse ANRS MIE - SFV 2024 : Garima Joshi et Yang Yang

Lors de sa réunion plénière des 11 et 12 mars 2025 à l'Institut Pasteur, l'Action Coordonnée de l'ANRS MIE « Recherche fondamentale et translationnelle sur les hépatites virales », en collaboration avec la Société française de virologie, a décerné ses prix de thèse pour des travaux réalisés en 2024.

Dernière mise à jour le 12 mars 2025

L’essentiel

Les thèses éligibles étaient des thèses universitaires soutenues en 2024 et ayant pour sujet d’étude les hépatites virales. Les lauréates, Garima Joshi (CIRI, ENS de Lyon) et Yang Yang (CNRS, Microbiologie moléculaire et biochimie structurale, Lyon), ont reçu chacune un prix de 1 000 euros. Les prix ont été décernés conjointement par l’Action Coordonnée de l’ANRS MIE « Recherche fondamentale et translationnelle sur les hépatites virales » (AC 42), en collaboration avec la Société française de virologie (SFV).

Ces deux jeunes scientifiques ont accepté de répondre à nos questions et d’évoquer leur parcours et leurs aspirations.

Elles répondent à nos questions

Quel est votre parcours ? Pourquoi vous êtes-vous orientées vers la recherche ?

Garima Joshi : J’ai obtenu une licence en microbiologie suivie par un Master en sciences biomédicales à l’université de Delhi, en Inde. Je me souviens qu’enfant, je voulais devenir médecin, mais au cours de mes études de licence, j’ai réalisé que la recherche était aux fondements de la médecine. J’ai été passionnée par les processus cellulaires dans la santé et la maladie, et il était clair que la recherche permettrait d’approfondir la compréhension de ces mécanismes. Pour moi, la recherche ne consiste pas seulement à résoudre des questions scientifiques, elle exige aussi une pensée créative. L’aspect créatif de la recherche, notamment en termes de visualisation et de conception expérimentale, m’a toujours attiré.

J’avais appris un peu de français à l’école en Inde, mais je n’avais pas imaginé m’installer en France jusqu’à ce que je reçoive la bourse Charpak, qui a soutenu mon master de recherche en sciences de la vie et en chimie à l’université Paris Sciences et Lettres. Le cours que j’ai suivi en France impliquait de se tenir au courant des derniers développements dans le domaine. Cette approche équilibrée des aspects pratiques et théoriques de la recherche, que j’ai développée respectivement en France et en Inde, m’a aidée à résoudre des problèmes scientifiques.

Yang Yang : Après avoir obtenu mon master en Chine, la pandémie de COVID-19 a commencé à se développer. À cette époque, j’ai pris conscience du rôle essentiel de la biologie structurale dans la compréhension des virus et la mise au point de traitements. Poussée par ma passion pour la recherche, j’ai posé ma candidature pour rejoindre le groupe de résonance magnétique nucléaire (RMN) des protéines à l’état solide à l’Institut de Biologie et de Chimie des Protéines. Grâce à une bourse du China Scholarship Council, je suis venue en France pour préparer mon doctorat. J’ai eu la chance de mener mes recherches doctorales sous la supervision conjointe du Dr Anja Böckmann (découvrez son portrait ici) et du Dr Lauriane Lecoq, ce qui a été une expérience incroyablement enrichissante.

 Sur quel sujet porte votre travail de thèse ?

Garima Joshi : Le virus de l’hépatite E (VHE) a été classé parmi les dix virus zoonotiques présentant le plus grand risque de transmission à l’homme. Nous avons étudié le VHE gt3 qui se manifeste par une issue clinique défavorable chez les sujets présentant des conditions médicales préexistantes ou une immunité supprimée. Par conséquent, de plus amples informations sur les réponses immunitaires innées qui contrôlent l’infection par le VHE seraient utiles pour résoudre cette crise sanitaire en plein essor. Les interférons (IFN) de type I et III protègent l’hôte contre les infections virales. Des études antérieures ont montré que seule la réponse IFN de type III est déclenchée dans les cellules hépatiques lors de l’infection par le virus de l’hépatite E, mais pas l’IFN de type I. La réponse IFN de type III est incapable à elle seule d’arrêter la propagation virale. Nous avons donc étudié la fonction anti-VHE de l’IFN sécrété par les cellules dendritiques plasmacytoïdes (CDp), les productrices spécialisées d’IFN de type I. Nous avons montré que les CDp co-déclenchent la réponse IFN de type I dans les cellules hépatiques en cas d’infection par le VHE. Nous avons montré que les CDp co-cultivées avec des cellules répliquant le VHE sécrétaient l’IFN de manière dépendante du contact cellulaire, à l’instar d’autres virus. Cette réponse des CDp dépend du capteur d’acides nucléiques endosomal TLR7 et des molécules d’adhésion.

Nous avons également comparé différents types de cellules répliquant le VHE pour leur réponse immunitaire en termes d’ISG et de régulation des cytokines. L’un des principaux résultats de notre étude a été la réduction de la propagation du VHE grâce aux IFN sécrétés par les CDp. La deuxième partie de notre étude s’est concentrée sur l’ORF2, la protéine de capside du VHE, qui peut être produite sous différentes formes par les cellules infectées. Au cours de l’infection, une fraction de l’ORF2 se localise dans le noyau, tandis qu’une autre fraction de l’ORF2 emballe les génomes viraux dans les virions infectieux. Nous avons montré que l’ORF2 glycosylée potentialise la reconnaissance des cellules infectées par les CDp via la régulation des contacts cellulaires. Nous avons également étudié l’effet de la translocation nucléaire de l’ORF2 sur l’activation de la réponse immunitaire cellulaire. L’ensemble de nos résultats suggère que les CDp peuvent être essentielles pour contrôler la réplication du VHE.

Yang Yang : Ma recherche doctorale s’est concentrée sur la compréhension de la structure et de la dynamique des différentes formes de HDAg (des protéines produites par le virus de l’hépatite D, ou VHD) produites par synthèse acellulaire (CFS, pour cell-free synthesis) ou dans des bactéries pour étudier le complexe ribonucléoprotéique (RNP) du VHD, fournissant des informations structurelles détaillées à une résolution atomique.

Quel est le résultat de votre travail de thèse le plus marquant selon vous ?

Garima Joshi : Le résultat le plus frappant a été la diminution de la réponse des IFN des CDp aux cellules PLC3 répliquant le mutant STOP et son abolition complète dans le cas du mutant 5R/5A. Le mutant 5R/5A et le mutant STOP sont déficients dans la production d’ORF2 glycosylée (ORF2g/c) et nucléaire, respectivement. Ces observations suggèrent que la translocation nucléaire d’ORF2 et la sécrétion de formes glycosylées d’ORF2g/c pourraient moduler la réponse des CDp. Nous avons alors émis l’hypothèse que cette réponse différentielle des IFN était probablement régulée par la propension à la formation de contacts cellulaires des cellules réplicatives mutantes.

Pour tester notre hypothèse, nous avons comparé leur propension à former des contacts avec les CDp par imagerie confocale. Seules les cellules hébergeant le mutant STOP différaient des cellules VHE de type sauvage dans leur capacité à former des contacts avec les CDp. Ces résultats soutiennent l’hypothèse d’une attraction réduite des CDp vers les cellules PLC3 exprimant STOP, par rapport aux cellules réplicatives VHE de type sauvage, en raison de l’absence de sécrétion d’ORF2g/c. Cela suggère que l’ORF2g/c pourrait permettre au virus de se disséminer en améliorant la formation de contacts cellule-cellule, tout en améliorant sa détection par les cellules immunitaires. Toutefois, les processus sous-jacents doivent être étudiés plus avant.

Yang Yang : L’un des principaux résultats de ce projet a été la détermination réussie de la structure RMN 3D à haute résolution de la solution S-HDAgΔ60 (résidus 61-195), qui a été déposée dans la Protein Data Bank (PDB : 9FLG). En outre, mes études ont caractérisé le domaine structurel d’assemblage N-terminal (résidus 1-60) de S-HDAg, un composant clé du complexe VHD RNP. En utilisant la synthèse protéique acellulaire et la résonance magnétique nucléaire (RMN) du solide à rotation à angle magique (MAS pour magic angle spinning) détectée au ¹H, nous avons réalisé une assignation séquentielle de novo avec moins de 1 mg de protéine entièrement protonée. Nos résultats montrent que le domaine structurel N-terminal est la seule région rigide de la S-HDAg qui reste entièrement conservée dans la protéine complète, alors que le reste de la protéine reste très dynamique. Ces études jettent des bases cruciales pour les recherches futures sur le complexe ribonucléoprotéique du VHD.

Que proposeriez-vous pour poursuivre vos travaux ? Quels sont les grands défis à relever selon vous dans ce domaine ?

Garima Joshi : La question la plus urgente serait de savoir comment l’ORF2g/c et l’ORF2 nucléaire influencent la détection virale du VHE par les CDp. En outre, nous avons noté que l’absence de l’ORF2 nucléaire entraîne une abolition complète de la réponse des pDC aux cellules 5R/5A. Cela suggère que l’ORF2 nucléaire déclenche probablement certaines voies immunitaires qui pourraient améliorer la détection par les CDp. Par conséquent, l’étude de ces voies spécifiques au noyau déclenchées par les protéines nucléaires virales sera également très utile dans le contexte d’autres virus.

Il est possible que certaines molécules d’adhésion soient également des gènes stimulés par des interférons, et la consolidation de ces gènes pourrait fournir des informations précieuses pour le domaine de l’immunologie. Par conséquent, une question plus large à explorer serait l’impact d’une réponse immunitaire robuste sur le recrutement des cellules immunitaires et la formation de contacts, étant donné que la littérature sur ce sujet est limitée.

Nos résultats montrent également que les contacts directs médiés par l’ICAM-I et, au moins en partie, par l’αLβ2-intégrine, permettent aux CDp de détecter les cellules répliquant le VHE et d’y répondre. Dans le domaine de la biologie des CDp, une compréhension plus approfondie des autres interactions se produisant au niveau de la synapse iterferogénique pourrait être très bénéfique. En outre, l’élucidation des effets de l’activation de l’IRF3 sur le recrutement des CDp et la formation de contacts pourrait révéler de nouveaux mécanismes de dialogue entre les CDp et les cellules infectées.

Yang Yang : La recherche structurelle sur le virus de l’hépatite D reste limitée. La S-HDAg étant une protéine très difficile à produire in vitro, la prochaine étape de la recherche sur ce projet se concentrera sur l’analyse RMN du complexe RNP HDAg1-160 (résidus 1-160). Les assignations de résonance des pics supplémentaires observés lors de la formation du complexe RNP permettront de le caractériser de manière plus détaillée et de révéler si ces signaux appartiennent au domaine d’assemblage ou à la S-HDAgΔ60 C-terminale, affinant ainsi notre compréhension du complexe RNP du VHD.

Après la thèse, quelle est la suite de votre projet professionnel ?

Garima Joshi : L’achèvement de ma thèse a considérablement renforcé ma confiance en moi, et j’ai maintenant le sentiment que tout est possible. Depuis que j’ai terminé ma thèse, j’ai continué à faire de la recherche, en mettant l’accent sur l’élargissement et la diversification de mon expertise. Mon objectif est de faire le lien entre la recherche fondamentale et les thérapies innovantes, en traduisant les découvertes scientifiques en solutions pratiques pour les soins aux patients. La France offre un écosystème exceptionnel qui favorise l’innovation et constitue un environnement idéal pour les chercheurs. Tout au long de mon parcours, j’ai développé un sens aigu de la collaboration interdisciplinaire. J’ai hâte d’établir des partenariats significatifs et de forger des amitiés durables afin de réaliser des percées dans le traitement des infections et des maladies.

Yang Yang : J’étudie actuellement les possibilités d’emploi dans le domaine de la biologie structurale et de la recherche biopharmaceutique, tant dans le monde universitaire que dans l’industrie. Je suis particulièrement intéressé par des postes où je peux appliquer mon expertise dans la caractérisation des protéines et le développement de médicaments.