Dernière mise à jour le 27 février 2023
Même si les antiviraux à action directe (AAD) ont montré leur efficacité dans l’élimination du virus de l’hépatite C (VHC) en ne provoquant pas les effets secondaires du traitement à l’interféron, le risque de carcinome hépatocellulaire (CHC) reste présent après disparition du pathogène de l’organisme, quel que soit le traitement et particulièrement en cas de fibrose avancée. Grâce à des prélèvements de foie de plus de 50 patients et un modèle de souris avec un foie humanisé, une équipe de recherche internationale soutenue par l’ANRS et coordonnée par Thomas Baumert, directeur de l’Institut de Recherche sur les Maladies Virales et Hépatiques (Unité Inserm U1110-Université de Strasbourg) a mis en évidence que ce risque rémanent est dû à des changements durables causés par le VHC, qui altèrent l’expression de gènes notamment impliqués dans le cancer du foie. Le ciblage de ces modifications dites épigénétiques constitue une piste pour détecter plus tôt les risques de CHC chez les patients dont l’infection est prise en charge.
Les détails de ces travaux sont publiés dans la revue Gastroenterology.
Les modifications épigénétiques sont des altérations portant sur les histones, protéines qui donnent sa structure à l’ADN. La chromatine, qui désigne l’assemblage de l’ADN avec ses histones, voit sa configuration changer en fonction de ces modifications, ce qui influe sur l’expression des gènes.
Le taux de guérison apporté par les AAD est de plus de 90%. Cependant, ces derniers ne permettent pas d’éviter les modifications causées par le VHC sur l’expression des gènes des cellules hépatiques ni l’augmentation de risque de CHC, notamment en cas de fibrose et d’infection prolongée. Ces mêmes travers sont retrouvés dans le traitement par interféron, traitement plus lourd quant aux effets secondaires, utilisé avant l’arrivée des AADs en 2011.
Les résultats de Thomas Baumert et ses collaborateurs montrent que le VHC, un virus à ARN qui n’intègre pas son génome à celui des cellules qu’il infecte, a cependant un impact sur le génome des hépatocytes en induisant des modifications épigénétiques telles que certaines acétylations au niveau des histones 3. Ces modifications changent la structure 3D de la chromatine et donc l’expression de certains gènes. Cette modification épigénétique est d’autant plus persistante que le traitement a été tardif et que la fibrose du foie est avancée.
Les chercheurs ont montré que les changements induits par le VHC affectent les gènes de réponse inflammatoire, ainsi que d’autres impliqués dans la tumorigénèse. Ces résultats ont été mis en évidence chez des patients avec une infection chronique par le VHC ou une ancienne infection chronique guérie, mais également dans un modèle de souris dont les hépatocytes sont d’origine humaine.
Il s’agit des premiers résultats pointant comme cause du risque rémanent de CHC les changements épigénétiques causés par le VHC, avant son élimination de l’organisme. Par ailleurs, ce risque ajouté est interconnecté avec la fibrose du foie.
Asymptomatique jusqu’à des stades tardifs, le CHC est mal diagnostiqué et souvent de mauvais pronostic. Ces travaux soutenus par l’ANRS mettent en lumière l’intérêt de l’analyse de l’épigénome, pour parvenir à une détection plus précoce et une meilleure prise en charge.
Les chercheurs concluent : « comme les liens entre modification de l’épigénome et d’autres cancers commencent à être documentés, les pistes –jusqu’alors inexplorées pour le cancer du foie- que nous mettons en évidence sont importantes à investiguer pour développer de nouveaux biomarqueurs et moyens de prévention du CHC. »
Source:
Gastroenterology, 2 mars 2019.
Nourdine Hamdane1,2, Frank Jühling1,2, Emilie Crouchet1,2, Houssein El Saghire1,2,,Christine Thumann1,2, Marine A. Oudot1,2, Simonetta Bandiera1,2, Antonio Saviano1,2,11, Clara Ponsolles1,2, Armando Andres Roca Suarez1,2, Shen Li3, Naoto Fujiwara4, Atsushi Ono4,13,14, Irwin Davidson5, Nabeel Bardeesy6, Christian Schmidl7,8, Christoph Bock7,9,10, Catherine Schuster,1,2, Joachim Lupberger1,2, François Habersetzer1,11, Michel Doffoël11, Tullio Piardi12, Daniele Sommacale12, Michio Imamura13, Takuro Uchida13, Hideki Ohdan14, Hiroshi Aikata13, Kazuaki Chayama13, Tujana Boldanova15,16, Patrick Pessaux1,11, Bryan C. Fuchs3, Yujin Hoshida4, Mirjam B. Zeisel1,2,17, François H.T. Duong1,2,15, Thomas F. Baumert1,2,11,18
1Inserm, U1110, Institut de Recherche sur les Maladies Virales et Hépatiques, Strasbourg, France;
2Université de Strasbourg, Strasbourg, France;
3Division of Surgical Oncology, Massachusetts General Hospital Cancer Center, Harvard Medical School, Boston, USA;
4LiverTumor Translational Research Program, Harold C. Simmons Comprehensive Cancer Center, Division of Digestive and Liver Diseases, University of Texas Southwestern Medical Center, xDallas, TX, USA;
5Department of Functional Genomics and Cancer, Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire, CNRS/INSERM/UDS, Illkirch, France;
6Center for Cancer Research, Massachusetts General Hospital; Departments of Medicine, Harvard Medical School, Boston, MA, USA;
7CeMM Research Center for Molecular Medicine of the Austrian Academy of Sciences, Vienna, Austria;
8Current address: Regensburg Centre for Interventional 2Immunology (RCI) and University Medical Center of Regensburg, Germany;
9Department of Laboratory Medicine, Medical University of Vienna, Vienna, Austria;
10Max Planck Institute for Informatics, Saarbrücken, Germany;
11Institut Hospitalo-Universitaire, Pôle Hépato-digestif, Nouvel Hôpital Civil, Strasbourg, France;
12General, Digestive, and Endocrine Surgery Unit, Hôpital Robert Debré, Centre Hospitalier Universitaire de Reims, Université de Reims Champagne-Ardenne, Reims, France;
13Department of Gastroenterology and Metabolism, Applied Life Sciences, Institute of Biomedical & Health Sciences, Hiroshima University,
Hiroshima, Japan;
14Department of Gastroenterological and Transplant Surgery, Graduate School of Biomedical and Health Sciences, Hiroshima University;
15Department of Biomedicine, University Hospital Basel, University of Basel, Basel, Switzerland;
16Division of Gastroenterology and Hepatology, University Hospital Basel, University of Basel, Basel, Switzerland;
17Inserm U1052, CNRS UMR 5286, Cancer Research Center of Lyon (CRCL), Université de Lyon (UCBL), Lyon, France;
18Institut Universitaire de France (IUF), Paris, France.
DOI : https://doi.org/10.1053/j.gastro.2019.02.038