Interview du Dr Cédric Arvieux, service des Maladies infectieuses, CHU de Rennes, France
Dernière mise à jour le 05 septembre 2024
Deux nouveaux chapitres de recommandations ont été mises en ligne en août 2024. Les travaux sont réalisés sous l’égide de l’ANRS MIE, du Conseil National du Sida et des hépatites virales (CNS), et de la Haute Autorité de santé (HAS). Lors d’un entretien, le Dr Cédric Arvieux, pilote du groupe de travail, a présenté les aspects essentiels de ces 2 chapitres avec une partie sur le traitement préventif pré-exposition (PrEP) et une partie sur le traitement post-exposition (TPE) du VIH.
Le traitement préventif pré-exposition (PrEP) du VIH est un outil à part entière de la stratégie de prévention de l’infection par le VIH dont l’efficacité a été démontrée. Or actuellement en France, la plupart des personnes ayant un diagnostic d’infection par le VIH ont des facteurs d’exposition identifiables, qui aurait dû amener à une prescription de PrEP pour leur éviter l’infection. Il faut donc élargir les indications, en se concentrant bien sûr sur les personnes les plus à risque d’exposition, mais également en répondant à la demande de personnes qui ne déclarent pas de sur-risque d’exposition évident : la décision de mise sous PrEP doit être une décision partagée.
Un point crucial de ces recommandations est d’essayer d’élargir l’accès à la PrEP pour les jeunes femmes originaires d’Afrique subsaharienne, une population fortement touchée par le VIH, mais sous-représentée parmi les utilisateurs de la PrEP. L’élargissement des prescripteurs à des professionnels comme les sages-femmes est aussi envisagé pour faciliter cet accès. De plus, l’introduction prochaine en France du cabotégravir injectable, administré tous les deux mois, pourrait être une opportunité supplémentaire de PrEP pour ces femmes.
Les recommandations insistent sur la simplicité de prescription et de surveillance de la PrEP, qui ne nécessitent plus de consultation hospitalière, et soulignent son efficacité démontrée.
Après une exposition sexuelle ou sanguine à risque, un traitement post-exposition (TPE) peut réduire le risque de transmission du VIH.
Le TPE est prescrit en cas de risque avéré de transmission du VIH, c’est-à-dire lorsqu’une personne source présente une charge virale détectable. Toutefois, en France, la majorité des personnes séropositives suivies ont une charge virale indétectable, réduisant ainsi le risque de transmission. Le « réservoir de risque » va donc être essentiellement constitué des personnes qui ignorent encore leur séropositivité. Le TPE est particulièrement recommandé dans les cas où le risque est élevé, comme les rapports anaux non protégés avec des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ou des femmes transgenres dont le statut VIH est inconnu.
Les recommandations françaises ont adopté le même modèle que celui qui a guidé les recommandations britanniques, où le traitement est recommandé si le nombre de personnes à traiter pour éviter une infection est inférieur à 10 000. Si ce nombre est compris entre 10 000 et 100 000, le traitement est à discuter, et au-delà de 100 000, il n’est pas recommandé. Par exemple, pour les rapports vaginaux, le TPE n’est presque jamais indiqué. Par contre, en cas de rapport anal non protégé par un préservatif avec une personne HSH ou trans de statut VIH inconnu, l’indication est systématique.
Mais, comme pour la PrEP, compte tenu de la très bonne tolérance des traitements post exposition, il n’y a pas lieu de refuser un TPE à une personne qui l’estime indispensable pour sa santé, après lui avoir exposé la balance bénéfice-risque du traitement ainsi que les niveaux de risque tels qu’énoncés plus haut.
Le TPE, bien que peu efficace à grande échelle en tant qu’outil de santé publique, reste important pour certains patients et peut être une porte d’entrée vers la PrEP. Il est ainsi conseillé de discuter de la PrEP avec toute personne se présentant pour un TPE, et de passer directement à une PrEP après le TPE si la situation de la personne exposée montre que cette exposition peut être répétée. La transition est facilitée par le fait que les molécules proposées en PrEP orale et en TPE sont très proches. Pour toute personne sous TPE pendant 28 jours chez qui on souhaite enchainer sur la PrEP, il est maintenant recommandé de faire cet enchainement sans interruption, quitte à faire une mesure de la charge virale en fin de TPE si on a des doutes sur une primo-infection.
Les recommandations mettent l’accent sur le choix de traitements efficaces, bien tolérés et les moins onéreux possibles.
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Le bon schéma de prise est celui qui convient le mieux à la personne sous PrEP. Il est tout à fait possible de passer de la forme continue à la forme discontinue et vice-versa, en fonction des moments de sa vie sexuelle. L’important est de bien prendre 48h de traitement après la dernière exposition.
Les données pharmacologiques ne permettaient pas au moment de la rédaction des recommandations de proposer le schéma discontinu chez les femmes cis, du fait de la médiocre diffusion vaginale du ténofovir. On est donc resté sur une indication du schéma discontinu (ou PrEP 2-1-1) uniquement chez les hommes cisgenres et les femmes trans. Néanmoins les données évoluent, et il n’est pas exclu que le schéma discontinu puisse être étendu aux femmes dans les mois à venir, avec probablement une indication de poursuite post exposition plus longue (7jours) que chez les hommes (48h).
Même si les premières études cliniques montrent une supériorité de la PrEP par cabotégravir injectable sur la PrEP orale, la PrEP injectable, du fait du manque d’expérience à grande échelle dans les pays industrialisés, reste une indication de seconde intention. Elle est bien sûr essentielle en cas de contre-indication à la PrEP par TDF/FTC (insuffisance rénale, intolérance au traitement oral). En dehors de ces situations, elle doit être discutée si l’observance de la PrEP orale parait difficile, que ce soit pour le schéma continu ou discontinu.
L’association thérapeutique étant remarquablement bien tolérée, la surveillance de la tolérance biologique est minimaliste, avec un contrôle occasionnel des transaminases et de la créatininémie. Il est également recommandé de surveiller régulièrement l’exposition aux IST. Concernant la syphilis, les dépistages des formes asymptomatiques et les traitements précoces doivent être la règle. Dans l’immédiat, nous recommandons également le dépistage et le traitement systématique des infections asymptomatiques à gonocoque et Chlamydiae, mais cette position pourrait évoluer en fonction des risques d’émergence d’antibiorésistance. Des études complémentaires sont nécessaires face à cet enjeu de santé publique important : traiter précocement et systématiquement permet de limiter les chaines de transmission, mais augmente le risque d’antibiorésistance, dont on sait qu’il est majeur pour le gonocoque.
Pour le cabotégravir injectable, du fait de rares cas d’échecs, le meilleur moyen de surveillance de l’efficacité semble être la réalisation de charges virales régulières, rapprochée initialement puis tous les 4 mois.
Aucune étude d’efficacité en TPE n’a été menée chez l’homme, on dispose seulement de rares études de tolérances sur de faibles effectifs. Le principe a donc été de retenir un traitement qui soit 1/ le moins couteux possible 2/Bien toléré 3/ Efficace sur les souches de virus circulant en France. L’association doravirine/ténofovir-disoproxil/lamivudine répond à l’ensemble de ces trois critères. Elle a également l’avantage de contenir l’association ténofovir-disoproxil/lamivudine, qui sera le traitement proposé en PrEP chez les personnes qui ont une indication de PrEP en relais du TPE.
Le parcours de santé des personnes victimes de violences sexuelles est souvent complexe, et le souhait de les protéger des IST, dont le VIH, doit pouvoir être intégrer sans surcharger celui-ci. Il n’y a pas de littérature scientifique permettant d’estimer le risque de transmission du VIH pour un acte sexuel non consenti par rapport à un acte consenti. On sait néanmoins que le fait d’être globalement soumise à des violences augmente le risque de contact avec le VIH. Pour les femmes victimes de violences sexuelles avec rapport uniquement vaginal, le risque de transmission pour les rapports hétérosexuels vaginaux reste néanmoins très faible : il faut peser le rapport bénéfice/risque entre augmenter le niveau de stress de la victime en lui prescrivant un traitement qui peut lui faire croire que le risque est important, et ne pas prescrire de traitement, qui peut être source de stress de se sentir non protégée. L’avis de la victime et la décision partagée sont essentiels dans cette situation.
Un webinaire dédié à la présentation des nouvelles recommandations est organisé le 5 juillet
Interview du Pr Laurent Mandelbrot, Chef du Service de Gynécologie-Obstétrique, gynécologue-obstétricien, AP-HP Hôpital Louis-Mourier, Colombes, France