Lauréats des prix de thèse Dominique Dormont 2024 : Diana Brychka et Alexandre Legrand

Découvrez les lauréats des prix de thèse Dominique Dormont 2024 : Diana Brychka et Alexandre Legrand. Ces prix, remis conjointement par l’ANRS Maladies infectieuses émergentes et la Société Française de Virologie, récompensent des travaux en recherche fondamentale et translationnelle sur le VIH.

Dernière mise à jour le 25 mars 2025

L’essentiel

Le 25 mars 2025 a eu lieu le Work in progress (WIP), la réunion annuelle de l’action coordonnée « Interactions Hôte-VIH, recherche fondamentale et translationnelle » (AC 41) de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes. A cette occasion, deux prix de thèse Dominique Dormont ont été remis. Le premier à Diana Brychka, sous la direction du Pr Raphaël Gaufin à l’Institut de Recherche en Infectiologie de Montpellier (IRIM), et le second à Alexandre Legrand, sous la direction du Pr Lucie Etienne au Centre International de Recherche en Infectiologie (CIRI) à Lyon. Ces prix, délivrés par l’ANRS MIE et la Société Française de Virologie, récompensent deux scientifiques dont les travaux de recherche sur le VIH ont marqué le domaine par leur grande qualité, leur originalité et leur caractère innovant.

Pour présenter leurs travaux, Diana Brychka et Alexandre Legrand ont accepté de répondre à quelques questions.

Ils répondent à nos questions :

Quel est votre parcours ? Pourquoi vous êtes-vous orientés vers la recherche ?

Diana Brychka : Ma passion pour la biologie et mon désir de contribuer à l’avancement de la recherche en santé humaine m’ont amenée à poursuivre un master en virologie à Kiev, en Ukraine, où j’ai acquis une compréhension approfondie des maladies virales. Parallèlement à mes études, j’ai travaillé dans une entreprise de R&D pour renforcer mes compétences techniques. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai mené des recherches sur une maladie auto-inflammatoire en République tchèque, mais j’ai vite réalisé que ma véritable passion restait les maladies infectieuses. Cette prise de conscience m’a incité à chercher à obtenir un doctorat dans le domaine de la recherche sur le VIH-1/sida.

En 2020, j’ai rejoint l’équipe du Dr Raphaël Gaudin à l’IRIM (CNRS) à Montpellier, d’abord en tant qu’ingénieure, où j’ai commencé mes recherches sur le VIH-1. Mon engagement dans le projet et mon ambition de faire un doctorat m’ont permis d’obtenir un financement de Sidaction pour le projet et le doctorat. Au cours des trois dernières années, j’ai étudié les mécanismes qui sous-tendent l’établissement du réservoir du VIH-1 dans le cerveau, un projet qui reflète ma conviction que la science fondamentale doit améliorer la vie des gens.

Alexandre Legrand : J’ai d’abord réalisé un BTS Bio-analyses et Contrôles, puis j’ai poursuivi mon parcours par une licence en Sciences de la Vie à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne et par un Master Infectiologie Fondamentale à l’université Claude Bernard Lyon 1. J’ai réalisé mon stage de Master 2 puis mon doctorat sous la direction de Lucie Etienne au Centre International de Recherche en Infectiologie à Lyon. J’ai toujours été intéressé par la biologie, et en particulier par l’immunité et les agents infectieux. Cela m’a poussé à vouloir mieux comprendre les raisons de leur pathogénicité ainsi qu’à disséquer les mécanismes de défenses de l’hôte, dans un contexte de santé publique mondiale toujours fragile face aux épidémies.

Sur quel sujet porte votre travail de thèse ?

Diana Brychka : Le VIH-1 forme un réservoir caché dans le système nerveux central (SNC), contribuant aux troubles neurocognitifs associés au VIH (en anglais HIV-associated neurocognitive disorders, ou HAND) et posant un défi majeur à la recherche d’un remède. Ma thèse de doctorat visait à comprendre comment le VIH-1 s’infiltre dans le SNC en détournant les monocytes, des cellules immunitaires capables de traverser la barrière hémato-encéphalique (BHE), et à découvrir des stratégies potentielles pour empêcher ce processus.

J’ai découvert que les monocytes expriment de manière non canonique l’occludine, une protéine associée à la jonction serrée que l’on trouve généralement dans les cellules endothéliales et épithéliales. Mes recherches ont démontré que l’occludine monocytaire joue un rôle essentiel dans la transmigration des monocytes à travers l’endothélium cérébral. En outre, j’ai montré que les monocytes exposés au VIH-1 présentent non seulement une transmigration accrue, mais qu’ils transportent aussi plus efficacement le VIH-1 à travers la BHE par rapport à une infiltration de VIH-1 sans cellules. Une fois dans le neuroenvironnement, les monocytes exposés au VIH-1 peuvent se différencier en cellules de type microglial et être infectés de manière productive, contribuant ainsi potentiellement à l’établissement du réservoir de VIH-1 dans le SNC.

Pour contrer ce phénomène, j’ai mis au point des peptides dérivés de l’occludine qui réduisent de manière significative l’infiltration des monocytes et la pénétration du VIH-1 in vitro et in vivo. Ces résultats offrent une nouvelle stratégie pour cibler les mécanismes des cellules hôtes, réduisant potentiellement le réservoir de VIH-1 dans le SNC et soulageant les HAND, avec des implications pour d’autres virus exploitant des voies similaires.

Alexandre Legrand : Mon travail de thèse porte sur la découverte et la caractérisation de nouveaux gènes de l’immunité humaine contre le VIH. Le but étant de mieux comprendre nos défenses antivirales naturelles, en particulier celles capables de cibler le VIH. Ce projet se penche sur deux nouveaux candidats, SAMD9 et SAMD9L, deux gènes apparentés qui codent pour deux protéines complexes, jusqu’alors connues pour leur implication dans des maladies auto-immune ou dans l’immunité contre les poxvirus. L’objectif est de déterminer leur implication dans la réplication virale en identifiant entre autres l’étape du cycle viral ciblée, le mécanisme employé, mais aussi de s’intéresser à l’évolution de ces gènes de façon à évaluer leur importance dans l’immunité du vivant.

Quel est le résultat de votre travail de thèse le plus marquant selon vous ?

Diana Brychka : Le résultat le plus significatif et le plus inattendu de mes recherches a été la diminution drastique de l’infiltration du VIH-1 associé aux monocytes à travers l’endothélium cérébral lorsque les monocytes étaient traités avec un peptide dérivé de la boucle extracellulaire 1 (EL1) de l’occludine. Alors que les peptides des deux boucles extracellulaires (EL1 et EL2) réduisaient l’infiltration du VIH-1 associée aux monocytes, seul le peptide EL2 diminuait l’infiltration des monocytes dans des conditions de non-infection. Pour la première fois, mes travaux ont démontré que le ciblage d’une protéine associée à la jonction serrée monocytaire spécifique peut réduire sélectivement l’infiltration de monocytes infectés par le VIH-1 dans le cerveau.

Mes travaux présentent non seulement une nouvelle stratégie pour empêcher l’infiltration de cellules immunitaires dans les réservoirs du VIH-1, mais ouvrent également la possibilité de cibler les protéines de surface des cellules immunitaires exploitées par le virus, en déclenchant une réponse spécifique dans les cellules exposées au VIH-1.

Alexandre Legrand : Nous avons identifié et caractérisé SAMD9L comme constituant une nouvelle protéine antivirale contre le VIH, impactant sa traduction via un site enzymatique que l’on retrouve aussi chez d’autres protéines antivirales humaines connues : les Schlafen. Par ailleurs, nous avons identifié des protéines analogues à SAMD9 ou SAMD9L jusqu’aux bactéries, actives via le même site enzymatique, semblant aussi être impliquées dans l’immunité antivirale chez ces hôtes, et résultant d’une convergence évolutive.

Que proposeriez-vous pour poursuivre vos travaux ? Quels sont les grands défis à relever selon vous dans ce domaine ?

Diana Brychka : Si je devais poursuivre mes travaux à plus petite échelle, je m’attacherais à élucider les mécanismes moléculaires qui sous-tendent l’effet sélectif de l’EL1 sur les monocytes exposés au VIH-1. La compréhension de ces voies pourrait ouvrir la voie à une recherche translationnelle visant à cibler les protéine associée à la jonction serrée monocytaires afin d’empêcher spécifiquement l’infiltration de monocytes porteurs du VIH-1 dans le cerveau. À plus grande échelle, j’aimerais voir l’identification de molécules de surface sur les cellules immunitaires porteuses du VIH-1, ce qui rapprocherait de la réalité les thérapies ciblées contre le VIH-1.

En outre, je pense qu’il est essentiel de cibler non seulement le virus lui-même, mais aussi les dommages qu’il cause. Cela pourrait ouvrir de nouvelles voies pour atténuer les symptômes et améliorer la qualité de vie des patients. Ces connaissances pourraient contribuer à protéger les patients des effets négatifs de la réactivation virale, en particulier si des stratégies d’inversion de la latence sont utilisées pour éliminer le VIH-1 de ses réservoirs. Ces efforts combinés pourraient améliorer considérablement les résultats des traitements et offrir une approche plus complète de la gestion de la maladie.

Parmi les principaux défis à relever dans ce domaine, citons le développement de modèles plus pertinents sur le plan physiologique afin d’imiter avec précision les réservoirs du VIH-1. Il est également essentiel d’établir des passerelles entre les disciplines et d’arriver à une plus grande collaboration, nécessaire pour comprendre pleinement la persistance virale et le détournement des cellules immunitaires par le VIH-1. La grande quantité de données disponibles, bien que précieuse, nécessite un examen systématique pour en extraire des informations significatives et éviter les redondances. Il est essentiel de surmonter ces difficultés pour faire progresser les thérapies ciblées et améliorer les résultats pour les patients.

Alexandre Legrand : Il s’agit maintenant de déterminer pourquoi le VIH est sensible à SAMD9L, mais pas à SAMD9 qui semble avoir l’effet inverse. De plus, nous résultats suggèrent un effet de ces protéines au-delà de l’étape de traduction du VIH, ce qui reste à démontrer. Aussi, l’identification du mécanisme d’activation de SAMD9L dans la cellule reste à élucider, et pourrait impliquer la reconnaissance de l’ARN du virus ou bien de certaines de ses protéines, via la partie C-terminale de SAMD9L. Enfin, l’étude plus approfondie des analogues bactériens identifiés pourrait révéler des mécanismes similaires dans la défense des bactéries contre leur propre virus, nous renseignant plus largement sur l’immunité au-delà de l’humain, et sur la façon dont cette dernière a été façonnée au cours de l’évolution.

Après la thèse, quelle est la suite de votre projet professionnel ?

Diana Brychka : J’ai continué après ma thèse à travailler avec mon directeur de thèse, Raphaël Gaudin, pour identifier les voies dysrégulées dans le cerveau lors d’une infection à long terme par le VIH-1, en m’appuyant sur les bases que nous avons établies. À l’avenir, j’aimerais passer à une recherche plus translationnelle, où je pourrais contribuer à combler le fossé entre les découvertes scientifiques et les applications dans le monde réel. Je me suis toujours vu consacrer ma vie à aider les autres, et je pense que me concentrer sur la recherche ayant un impact clinique direct est le meilleur moyen pour moi de contribuer de manière significative à l’amélioration des résultats pour les patients.

Alexandre Legrand : Actuellement en post-doctorat à Paris, je continue de m’intéresser à l’immunité et souhaiterai à terme passer les concours pour tenter d’obtenir un poste pérenne dans la recherche publique. J’aimerai ainsi continuer d’explorer le domaine de l’immunité et de la relation virus-hôte, contribuant collaborativement à l’avancée des connaissances.

Pour aller plus loin

Evénements

Work in progress 2025 de l’action coordonnée « Interactions hôte-VIH »

Le Work in progress de l’action coordonnée 41 « Interactions Hôte-VIH, recherche fondamentale et translationnelle » se tiendra en présentiel le 25 mars 2025 à l’Institut Pasteur à Paris.

06 décembre 2024