Remise des prix de thèse "Virus émergents" 2024

Lors des Journées Francophones de Virologie du 23 au 25 avril 2025 à Lyon, l'ANRS MIE et la Société française de virologie ont décerné trois prix de thèse en recherche fondamentale sur les virus émergents et ré-émergents.

Dernière mise à jour le 25 avril 2025

L’essentiel

L’ANRS Maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE) et la Société Française de Virologie (SFV) s’associent pour décerner chaque année des prix de thèse à de jeunes scientifiques dont les recherches ont marqué le domaine par leur grande qualité, leur originalité et leur caractère innovant.

En 2025, pour le prix « Virus émergents » décerné pour une thèse achevée en 2024, les lauréats sélectionnés conjointement par l’ANRS MIE et la SFV sont :

Ils ont reçu chacun un prix de 1 000 euros.

Ils répondent à nos questions

Quel est votre parcours ? Pourquoi vous êtes-vous orientés vers la recherche ?

Quentin Durieux : J’ai toujours rêvé d’être vétérinaire, mais étant un élève plutôt moyen, je n’ai pas pu intégrer une école préparatoire, pourtant nécessaire pour passer le concours d’entrée. Aimant la biologie et la chimie, je me suis orienté vers une licence de Chimie-Biologie à l’Université Grenoble Alpes. Continuant sur ma lancée, je n’avais pas de très bons résultats et j’ai failli rater ma deuxième année. C’est au cours de la troisième année de cette licence que je me suis passionné pour la biologie structurale, et mes notes ont soudainement augmenté, ce qui m’a permis d’intégrer le Master de Biologie Structurale Intégrative. C’est au cours de ce master que j’ai pu réaliser des stages en laboratoire à l’Institut de Biologie Structurale à Grenoble, y rencontrer des personnes incroyables qui m’ont transmis leur passion et m’ont appris d’innombrables choses.

La suite me semblait claire : faire une thèse au sein de cet institut, ce que j’ai eu la chance de pouvoir réaliser.

Adrian Gervais : J’ai toujours eu une attirance particulière pour la biologie, la médecine, et les animaux, ce qui m’a initialement orienté vers une classe préparatoire BCPST (Biologie, Chimie, Physique et Sciences de la Terre), avec la vague idée de devenir vétérinaire. Mais durant ces deux années de classe préparatoire, j’ai commencé à m’intéresser à la bio-ingénierie. J’ai étudié les différentes voies et spécialités proposées par les grandes écoles accessibles aux concours et j’ai choisi d’intégrer AgroParisTech pour son cursus biotechnologies. Ce n’est qu’à la toute fin de ma formation d’ingénieur que j’ai décidé de poursuivre dans la recherche, grâce à un stage de fin d’études axé sur la recherche et le développement de médicaments contre le diabète. J’ai trouvé fascinant de mettre en place, optimiser, analyser et évaluer des modèles biologiques pour caractériser des formulations thérapeutiques.

Dans l’idée d’approfondir mes connaissances et compétences dans ce domaine, j’ai souhaité poursuivre une thèse en immunologie alliant recherche fondamentale et applications cliniques dans un environnement international, aux côtés d’acteurs utilisant des techniques de pointe dans le domaine des sciences du vivant. Le laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses, dont la branche parisienne est hébergée à l’Institut Imagine sur le campus de l’hôpital Necker (Paris), correspondait exactement à mes attentes.

Nell Saunders : Après un bac scientifique, je suis allée en classe préparatoire physique et chimie. J’ai ensuite intégré l’école Polytechnique, où je me suis spécialisée en Biologie. J’ai fait un double diplôme avec l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, où j’ai obtenu mon master. Après la thèse de master dans le laboratoire d’Olivier Schwartz, a l’Institut Pasteur, j’ai continué en thèse.

Je me suis orientée vers la recherche car c’est une profession où l’on peut répondre à des questions, trouver des solutions et apprendre toute sa vie. Je considère que c’est une chance unique d’exercer ce métier ou l’on fait ce qu’on aime et qui est en constante évolution. J’ai choisi la virologie car c’est un domaine dynamique, où la recherche peut permettre des améliorations rapides en dépistage, médecine et traitement d’infections qui affectent des millions de personnes.

Sur quel sujet porte votre travail de thèse ?

Quentin Durieux : Au cours de ma thèse, j’ai travaillé sur des Bunyavirus. Ces proches cousins de la grippe, bien que très peu connus du grand public, infectent des personnes de par le monde. Dans une grande majorité des cas, l’infection passe inaperçue, mais elle peut également déclencher de graves symptômes. C’est le cas pour les trois virus que j’ai étudiés :

  • Hantaan peut entraîner des fièvres hémorragiques avec syndrome rénal ;
  • Sin Nombre peut entraîner un syndrome pulmonaire (tous deux membres de la famille des Hantavirus) ;
  • et enfin La Crosse peut entraîner des encéphalites graves et souvent mortelles chez les enfants de moins de 16 ans.

Je n’ai bien entendu pas travaillé sur des virus entiers. Je me suis focalisé sur une protéine virale centrale appelée ARN polymérase ARN-dépendante. Cette protéine permet au virus, après infection au sein d’une cellule humaine, animale ou végétale, de répliquer le génome du virus (c’est à dire de faire des copies de l’ARN viral). On appelle cette activité la réplication. Elle peut également utiliser cet ARN viral pour produire des ARNm qui pourront ensuite être utilisés par la cellule pour produire des protéines virales. Cette seconde activité s’appelle la transcription.

Afin de l’étudier, j’ai eu la chance de pouvoir utiliser les microscopes électroniques présents à l’IBS. Ces microscopes utilisent les électrons afin d’obtenir un grand nombre d’images de ma protéine d’intérêt, et ce même si elle est plus petite que quelques nanomètres (10⁻⁹ m). L’utilisation de l’informatique et d’un traitement d’image poussé nous permet alors d’obtenir la structure en 3 dimensions de la protéine et de pouvoir essayer de comprendre comment œuvrent les différents éléments qui la composent au cours de ces activités de réplication et de transcription.

Adrian Gervais : Au moment où j’ai commencé ma thèse, le laboratoire venait de démontrer que certains cas graves de COVID-19 s’expliquaient par des anomalies génétiques ou immunologiques. Plus précisément, ces défauts empêchent un fonctionnement normal de la voie des interférons de type I, des molécules clés produites dès les premières heures d’une infection virale pour enclencher la réponse immunitaire. Dans ce contexte, ma thèse a porté sur l’étude d’auto-anticorps qui bloquent l’action de ces interférons de type I. J’ai cherché à savoir à quelle fréquence on les retrouve dans la population générale, et s’ils pouvaient aussi expliquer la sévérité d’autres infections virales.

Nell Saunders : Ma thèse porte sur l’étude de l’entrée et de la réplication d’HKU1 et de SARS-CoV-2.

Après des débuts sur l’étude de variants préoccupants de SARS-CoV-2, j’ai commencé à travailler sur le rôle de TMPRSS2 dans l’entrée d’HKU1, un coronavirus saisonnier. Les nombreux outils développés durant la pandémie dans notre laboratoire mais aussi chez nos collaborateurs pour l’étude de SARS-CoV-2 nous ont permis de faire des découvertes majeures sur HKU1. Alors que l’on s’attendait à ce que TMPRSS2 agisse comme une protéase clivant le spicule d’HKU1, nous avons découvert que TMPRSS2 agissait comme récepteur pour ce virus. Ma thèse se porte donc principalement sur la preuve du rôle de TMPRSS2 en tant que récepteur pour HKU1 dans différents systèmes, indépendamment de son activité enzymatique. En collaboration avec l’équipe du Pr. Rey nous étudions la structure du complexe, et le rôle de différents acides aminés dans cette interaction. En collaboration avec l’équipe du Dr Lafaye, nous étudions l’effet de nanocorps bloquants de TMPRSS2 sur l’entrée d’HKU1.

Remise des prix de thèse Virus émergents 2024

Mathieu Mateo, Quentin Durieux, Nell Saunders, Adrian Gervais, Amandine Verga-Gérard

Quel est le résultat de votre travail de thèse le plus marquant selon vous ?

Quentin Durieux : Au cours de ma thèse, je suis parvenu à obtenir la structure entière de la polymérase du virus d’Hantaan. C’est la première structure pour une polymérase d’un hantavirus jamais observée. J’ai également obtenu cette structure dans différents états de la réplication, nous permettant d’avoir une vue d’ensemble sur le fonctionnement de cette protéine tout au long de cette activité.

Le résultat le plus marquant pour moi est la mise en évidence d’un état inactif de la polymérase du virus d’Hantaan. En effet, nous avons pu observer que cette protéine, en absence d’ARN viral, adopte une conformation qui n’est pas compatible avec une activité de réplication ou de transcription. Elle est en mesure de passer à un état actif grâce à la liaison de l’ARN viral. Cette transition inactif/actif nécessite un mouvement au sein du site actif jamais observé auparavant.

Cette découverte, couplée aux autres structures, apporte de nouvelles informations et de nouvelles possibilités dans le développement d’une molécule antivirale qui permettrait de lutter contre les infections dues aux hantavirus. C’est d’autant plus important qu’il n’existe à ce jour aucun traitement ou aucun vaccin homologué contre les bunyavirus.

Adrian Gervais : Le résultat majeur de mes travaux de thèse est la mise en cause des auto-anticorps anti-interférons de type I dans 40% des encéphalites dues au virus du Nil Occidental (WNV), alors qu’ils sont absents des individus ayant fait une forme asymptomatique de la maladie. Nous avons montré que ces auto-anticorps sont présents dans la circulation sanguine avant l’infection (et non produits en réponse à l’infection), et qu’ils neutralisent l’effet antiviral de l’interféron vis-à-vis du WNV. De façon spectaculaire, ils augmentent le risque de développer une forme sévère d’encéphalite à WNV jusqu’à 500 fois par rapport à des individus qui n’en sont pas porteurs. Enfin, nous avons retrouvé ces auto-Acs dans le liquide céphalorachidien d’une grande proportion de patients sévèrement atteints, ce qui suggère fortement leur implication dans les atteintes neurologiques dues au virus. En clair, ces résultats ont fait de l’encéphalite à WNV la maladie infectieuse humaine la mieux comprise, puisque 40% des formes sévères sont désormais expliquées.

Nell Saunders : L’identification de TMPRSS2 comme récepteur d’HKU1 est le résultat majeur de ma thèse. Connaître le récepteur d’HKU1 va permettre de cultiver le virus en laboratoire sur des lignées immortalisées alors que ce n’était précédemment possible que sur des lignées primaires différenciées. Cela accélèrera significativement la recherche sur ce virus, et pourra s’avérer utile en cas d’émergence d’un nouvel embecovirus.

Que proposeriez-vous pour poursuivre vos travaux ? Quels sont les grands défis à relever selon vous dans ce domaine ?

Quentin Durieux : Le développement de la cryo-microscopie électronique et la prise de conscience de la dangerosité de ces virus, qui tendent à se propager au cours de ces dernières années ont permis de faire de nombreuses découvertes sur les Bunyavirus. Les protéines virales qui les composent sont aujourd’hui un peu mieux comprises.
Cependant, les recherches effectuées jusqu’ici se focalisent généralement sur une protéine seule. Or, au sein d’une cellule, ces protéines sont en interaction et probablement également en interaction avec des protéines de la cellule qu’elles utilisent pour détourner le fonctionnement de ces cellules à l’avantage du virus.

Il sera donc nécessaire d’essayer de comprendre comment « fonctionne » ces virus au sein de nos cellules. Où se reproduisent-ils dans la cellule ? Quelles peuvent être les protéines cellulaires qui pourraient être utilisées par le virus ? Des questions qui vont nécessiter des recherches approfondies, complexes ainsi que des équipements de pointe.

Adrian Gervais : Outre l’encéphalite à WNV, j’ai participé à la mise en cause des auto-anticorps anti-interférons de type I dans plusieurs autres infections virales et arbovirales sévères. Il semble donc que nous n’ayons aujourd’hui pas conscience de l’étendue des infections virales sévères qui peuvent être imputées à ces auto-Acs. Pour cette raison, il est primordial de rechercher des auto-anticorps anti-interférons de type I chez tout patient atteint d’une infection virale sévère, de façon agnostique.

La prise de conscience de l’importance de ces auto-anticorps dans les pathologies virales est un véritable défi médical qui pourrait révolutionner l’identification des patients à risque et améliorer leur prise en charge. En ce sens, nous avons développé un test permettant un diagnostic simple et rapide capable d’identifier des défauts de réponse à l’interféron de type I, utilisable en milieu hospitalier.

D’un point de vue scientifique, il est également essentiel d’étudier les facteurs de risque qui aboutissent à la production de ces auto-anticorps (parmi lesquels on connait déjà l’âge), et les mécanismes cellulaires et moléculaires qui permettent leur apparition – c’est d’ailleurs l’un projets majeurs du laboratoire.

Nell Saunders : Afin de poursuivre les travaux, des lignées immortalisées susceptibles à HKU1 sont en cours de développement. Elles permettront d’étudier non seulement l’entrée du virus mais aussi d’autres étapes de sa réplication et de sa sortie. Des études permettront également de comprendre le rôle de certaines protéines comme l’hemaglutinine-esterase dans l’entrée et le relargage du virus.

De nombreuses questions restent sans réponses, notamment quand à l’origine et l’évolution d’HKU1. Un échantillonnage accru de différentes espèces pourra peut être permettre d’identifier des virus proche dans d’autres espèces.

L’utilisation des nanocorps anti-TMPRSS2  en clinique pour traiter les infections respiratoires causées par des virus clivés par TMPRSS2 est également une voie à suivre.

Après la thèse, quelle est la suite de votre projet professionnel ?

Quentin Durieux : Suite à ma thèse, j’ai commencé un post-doctorat au sein du Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL), qui se situe à Heidelberg, en Allemagne. Je me suis un peu écarté du monde des virus pour me rapprocher de celui des Archées et du nucléosome (protéine en interaction avec l’ADN). J’ai cependant fait en sorte de rester proche de la cryo-microscopie électronique, technique incroyable en plein essor qui nous permet d’observer le monde du nanomètre.

J’espère pouvoir revenir un jour en France et obtenir un poste permanent me permettant de poursuivre l’étude des virus, et, pourquoi pas, celle des Bunyavirus.

Adrian Gervais : Depuis la fin de ma thèse, je poursuis plusieurs projets en cours au laboratoire en tant que chercheur post-doctorant, toujours en lien avec l’immunité antivirale médiée par les interférons de type I. J’envisage ensuite d’effectuer un autre post-doctorat plus long dans l’industrie pharmaceutique, en particulier dans le domaine des innovations thérapeutiques dans le champ de l’immuno-oncologie ou des infections virales.

Nell Saunders : Je vais continuer avec un post-doctorat en Europe. Ensuite mon but est de revenir en France afin de continuer en recherche.

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