Dernière mise à jour le 27 février 2023
En cette journée mondiale de lutte contre le sida, le groupe « Indicateurs » de l’Action coordonnée 47 de l’ANRS, fait un état des lieux de l’épidémie de VIH en France, à l’aide des données produites par les agences de surveillance et les dispositifs de recherche.
Jusqu’en 2018 – derniers chiffres disponibles – l’épidémie de VIH tend à reculer en France, bien que des disparités persistent. La crise sanitaire liée à la Covid-19 semble avoir eu un impact modéré sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH déjà suivies. En revanche, le dépistage a pâti du confinement et de la perturbation de l’activité des laboratoires.
De nombreuses expérimentations sont en cours pour tenter d’infléchir la transmission du VIH en France en adaptant les mesures de prévention combinée aux besoins des populations, notamment celles fragilisées par la crise sanitaire et sociale de 2020. C’est l’un des défis à surmonter pour atteindre l’objectif de mettre fin aux transmissions du virus d’ici à 2030.
En juillet dernier, le groupe « Indicateurs » de l’Action coordonnée 47 de l’ANRS avait établi un rapport dressant un tableau de l’infection par le VIH en France entre 2013 et 2018 en analysant simultanément l’ensemble des données issues des systèmes de surveillance, des enquêtes et des travaux de modélisation pour comprendre les tendances observées des nouveaux diagnostics par groupe et par région. De nouvelles données plus récentes viennent compléter ce tableau.
Comment l’épidémie de VIH a-t-elle évolué entre 2013 et 2018 ?
Les scientifiques du groupe « Indicateurs » de l’AC47 ont observé une tendance à la baisse de l’épidémie de VIH, mais ont constaté des inégalités.
• En 2018, après quelques années de relative stabilité, le nombre de nouveaux diagnostics a baissé de 7 % par rapport à 2017 (6 155 contre 6 583). Les tendances nationales étaient accentuées en Île-de-France (qui concentrait 40 % des nouveaux diagnostics en 2018), tandis que la Nouvelle-Aquitaine et l’Auvergne-Rhône-Alpes, deux grandes régions rendant compte de la situation nationale métropolitaine hors Île-de-France, présentaient des indicateurs de nouveaux diagnostics stables.
• Pour les personnes nées en France, les estimations de l’incidence entre 2013 et 2018, qui rendent compte de l’épidémie « réelle » (c’est-à-dire au moment où les nouvelles infections se produisent) étaient en baisse chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et chez les hommes hétérosexuels, et restaient stables chez les femmes. Ces tendances étaient nettes en Île-de-France et encore plus accentuées à Paris.
• Parmi les personnes nées à l’étranger (dont la majorité est née en Afrique subsaharienne), la situation s’était améliorée chez les hommes hétérosexuels, mais elle restait préoccupante chez les femmes hétérosexuelles et chez les HSH quelle que soit leur origine géographique. Les indicateurs sont malgré tout complexes à interpréter, car plusieurs paramètres interagissent certainement : la taille des flux migratoires récents, les contextes d’expositions antérieurs à la migration et dans le parcours vers l’Europe et, enfin, les conditions d’existence toujours plus difficiles après l’arrivée, conditions qui se sont encore détériorées avec la crise sanitaire en 2020.
Les données de la déclaration obligatoire pour l’année 2019 manquent encore, en raison de la crise de la Covid-19 qui a perturbé leur collecte et leur validation, ce qui ne permet pas de vérifier si ces tendances se sont maintenues l’année dernière.
Comment évoluent les mesures de prévention combinée ?
Toutes les composantes de la prévention combinée (dépistage, traitement antirétroviral, prévention par le préservatif et par la prophylaxie pré-exposition ou PrEP) ont connu des évolutions positives entre 2013 et 2019, dernière année pour laquelle les données actualisées sont disponibles.
• Le dépistage est la clé de l’entrée dans la cascade de soins. Le dépistage par test sérologique a augmenté de 18 % depuis 2013, avec de faibles variations entre les différentes régions, passant de 5,2 millions de tests à près de 6,2 millions en 2019. Une augmentation de 6 % a été observée entre 2018 et 2019 selon les données de l’enquête LaboVIH (Santé publique France). Les ventes d’autotests ont aussi augmenté dans la même proportion (+6 %, soit 78 000 tests) en un an, auxquelles il faut ajouter ceux distribués gratuitement par les associations et les CeGIDD. Le taux de tests positifs est resté stable au niveau national en 2019.
• L’effet préventif du traitement antirétroviral (qui permet le contrôle efficace de la charge virale des personnes séropositives prises en charge) joue à plein dès lors que les personnes diagnostiquées sont prises en charge et sont traitées, avec de très faibles différences selon les populations et les régions.
• Les ventes de préservatifs (collectées par Santé publique France) étaient stables en 2019.
• Les données de la PrEP, disponibles jusqu’au 30 juin 2020 (provenant de l’Assurance maladie et issues du rapport Epi-Phare), montrent une augmentation de son initiation en 2019, ainsi que du nombre total de personnes qui y ont recours. On dénombrait 19 538 utilisateurs au deuxième semestre 2019 et 21 292 au premier semestre 2020. L’usage de la PrEP reste concentrée en Île-de-France (41 % des utilisateurs) et singulièrement à Paris (25 %). 97 % des personnes qui y ont recours sont des hommes. La PrEP, encore très largement réservée aux HSH doit s’étendre encore en dehors de l’Île-de-France et à d’autres usagers : les jeunes, les hétérosexuels, les hommes et les femmes migrants qui pourraient en bénéficier si une promotion, jusqu’ici inexistante était engagée.
L’année 2019 marque donc une amélioration de deux piliers de la prévention combinée (le dépistage et la PrEP) indiquant une couverture préventive améliorée.
Quel est l’impact de la Covid-19 sur l’épidémie de VIH ?
La crise sanitaire, au travers des mesures de confinement et ses effets socialement différenciés, de la forte sollicitation des services de santé (laboratoires et services hospitaliers d’infectiologie) a affecté les recours aux soins dans le domaine du VIH et de la santé sexuelle comme d’autres champs de la santé. L’objectivation par l’analyse des données du SNDS par Epi-Phare met en évidence des phénomènes contrastés.
• La continuité des traitements n’a pas été impactée pour les personnes séropositives déjà suivies. La moindre accessibilité des services de santé a été compensée par les téléconsultations, l’envoi de prescriptions ou leur prolongation.
• En revanche, la baisse très importante du dépistage pendant le premier confinement suivie d’une reprise incomplète a mis en évidence une diminution de 650 000 tests entre janvier et septembre 2020. Il est probable que la deuxième période de confinement à l’automne aura aussi eu un impact et prolongé les délais entre l’infection et le diagnostic avec leurs conséquences individuelles et collectives.
• Une baisse de délivrance de la PrEP a été observée pendant le premier confinement. Cependant, dans la mesure où, en France, la moitié des usagers l’utilisent « à la demande », cela peut s’expliquer par la diminution de l’activité sexuelle. Cette hypothèse est soutenue par le niveau très bas des IST observé à la fin du premier confinement parmi les participants de la cohorte ANRS Prévenir. Toutefois, les initiations de PrEP, qui étaient en hausse en janvier et en février 2020, ont été fortement affectées à l’échelle nationale et ne sont pas complètement revenues à la normale.
Il importera de réparer les perturbations profondes causées par la crise sanitaire en adaptant l’offre avec les outils développés pendant les périodes de confinement (téléconsultations, longue durée de délivrance des médicaments prescrits, etc.), mais aussi en fonction des conditions sociales détériorées par la crise sanitaire, en particulier pour les populations clés : migrants, jeunes, travailleuses et travailleurs du sexe, usagers de drogue.
Quelles pistes pour parvenir à l’arrêt des transmissions du VIH d’ici 2030 ?
L’ANRS soutient divers programmes de recherche pour une meilleure compréhension des barrières à la prévention et l’identification de nouvelles approches.
Ainsi, trois expérimentations sont en cours pour augmenter le recours au dépistage s’appuyant sur une offre facilitée pour l’usager.
• MémoDépistages, sous la responsabilité de Nathalie Lydié et Delphine Rahib (Santé publique France), évalue dans quatre régions l’efficacité d’un programme d’incitation au dépistage du VIH et des IST répété tous les trois mois, tel que recommandé par la HAS. Son originalité repose sur une solution personnalisée selon les préférences des individus, évolutive et combinant les différents types de tests et de dispositifs, et sur une offre expérimentale (envoi à domicile d’un kit pour des auto-prélèvements sanguin, urinaire, pharyngé et anal).
• « Au Labo sans ordo » (ALSO), dirigé par Pascal Pugliese (CHU de Nice), mené en partenariat avec l’Assurance maladie, les ARS et les collectivités territoriales, mesure l’intérêt d’une offre de dépistage sans prescription et sans avance de frais dans tous les laboratoires de biologie médicale à Paris et dans les Alpes-Maritimes. Les premiers résultats mettent en évidence une hausse de 8,5 % des tests en laboratoire et l’attractivité des tests ALSO pour une population différente de celle qui bénéficie des tests prescrits ou qui fréquente les CeGIDD (BEH, 33-34, 1er décembre 2020).
• Pour réduire le temps entre l’exposition et le dépistage, l’expérimentation NotiVIH, sous la responsabilité de Karen Champenois (Inserm), étudie la notification assistée des HSH découvrant leur séropositivité à leurs partenaires sexuels et son acceptabilité. NotiVIH devrait démarrer prochainement dans 16 centres en France.
Les personnes originaires d’Afrique subsaharienne constituent un des deux groupes les plus concernés par l’infection VIH en France et particulièrement en Île-de-France. Leur offrir les outils de la prévention combinée dès leur arrivée sur le territoire est un objectif majeur.
• Le projet MAKASI, dirigé par Annabel Desgrées du Lou (Ceped, IRD), ancré à Paris et en Seine-Saint-Denis, met sur pied une intervention construite au cœur de la communauté afro-caribéenne pour renforcer les capacités d’agir et réduire les vulnérabilités sociales et en santé.
Pour accélérer l’infléchissement de l’épidémie, la PrEP pourrait s’étendre dans la population HSH et dans la population migrante avec des approches adaptées.
• Le projet OmaPrEP, sous la responsabilité d’Isabelle Poizot-Martin (CHU Sainte-Marguerite, Marseille), identifie, parmi un échantillon national de personnes nouvellement séropositives, les occasions manquées de proposition de la PrEP dans le parcours antérieur au diagnostic.
• Les jeunes HSH restent encore trop éloignés de la prévention et singulièrement de la PrEP. Le projet TRUST, conduit par Tristan Delory (Hôpital Saint-Louis, APHP), teste une stratégie de caractérisation du risque VIH, d’entrée dans une démarche de santé sexuelle (dépistage du VIH et des IST, initiation de la PrEP) basée sur le recrutement de proche en proche de jeunes hommes de 18 à 25 ans. Ce projet s’inscrit dans le programme de recherche ANRS Prévenir.
• Pour comprendre l’augmentation régulière des nouveaux diagnostics parmi les HSH nés à l’étranger et identifier les contextes individuels et collectifs de l’acquisition du VIH, l’étude GANYMEDE, conduite par Romain Palich (IPLESP, APHP), explore les différentes facettes du parcours des HSH séropositifs nés à l’étranger avant leur diagnostic, en s’appuyant sur un large échantillon de personnes suivies dans les 15 plus grands centres de prise en charge du VIH en Île-de-France.
L’objectif d’arrêt de la transmission du VIH d’ici 2030 reste d’actualité si les programmes de prévention combinée reprennent après la crise sanitaire et continuent à innover. Les auteurs du rapport concluent que « l’accélération de la baisse de l’épidémie dans les différents groupes vulnérables doit être favorisée par un choix plus volontariste dans le cadre de programmes locaux et adaptés à chaque contexte. La performance globale de la prévention combinée (accès effectif au dépistage, au traitement et à la PrEP) sera déterminante pour parvenir au contrôle de l’épidémie ».
Pour en savoir plus
Sources
Épidémiologie de l’infection VIH en France – 2013-2018. Tendance et contribution de la prévention combinée (dépistage, traitement antirétroviral des PVVIH, prévention par le préservatif et la PrEP)
ANRS, Action coordonnée « Dynamique et contrôle du VIH et des hépatites », présidente : Dominique Costagliola.
Françoise Cazein, Florence Lot, Nathalie Lydié, Annie Velter (Santé publique France), Lise Marty, Virginie Supervie, Dominique Costagliola (IPLESP, Inserm), Rosemary Dray-Spira (Epi-Phare, Ansm-Cnam), Valérie Féron, Isabelle Grémy (ORS Île-de-France, Institut Paris Région), Frédéric Goyet (ARS Île-de-France), France Lert, Véronique Doré (ANRS).
Lien vers le rapport : http://www.anrs.fr/sites/default/files/2020-07/epidemilogie-infection-vih-france-2013-2018.pdf
Utilisation des ARV et de la PrEP et recours aux tests VIH en laboratoire en France durant l’épidémie de Covid-19
R. Dray-Spira, J. Drouin, F. Cuenot, D. Desplas, A. Weill, F. Lert, M. Zureik
E-SFLS, 8-10 octobre 2020 : https://www.epi-phare.fr/app/uploads/2020/10/epi-phare_sfls_2020-10-08.pdf
Suivi de l’utilisation de Truvada® ou génériques pour une prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS) – Actualisation des données jusqu’au 30 Juin 2020.
Sophie Billioti de Gage, Thien Le Tri, Rosemary Dray-Spira
Rapport EPI-PHARE, décembre 2020 : https://www.epi-phare.fr/rapports-detudes-et-publications/prep-vih-2020/
Bulletin de santé publique – Édition nationale
Florence Lot, Françoise Cazein, Josiane Pillonel, Mathias Bruyand, Ndeindo Ndeikoundam, Delphine Viriot, Gilles Delmas, Cécile Sommen, Etienne Lucas, Stella Laporal, Pierre Pichon, Nathalie Lydié, Didier Che, Bruno Coignard
Santé publique France, décembre 2020 : http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/33-34/index.html
STIs in the Era of PrEP and U=U: Can Increased Screening, STI PEP, and other Approaches Result in Limiting Spread?
Jean-Michel Molina
AIDS 2020 Virtual, 6-10 juillet 2020
Contacts scientifiques
François Dabis, directeur de l’ANRS
Dominique Costagliola, présidente de l’AC47
dominique.costagliola@iplesp.upmc.fr
Contact presse
Cécile Pinault