Focus sur Makasi, un projet d’empowerment en santé sexuelle

Focus sur Makasi, un projet d’empowerment en santé sexuelle

Dernière mise à jour le 06 décembre 2023

Le projet ANRS-Makasi est une intervention innovante pour améliorer l’empowerment en santé sexuelle auprès des personnes précaires et immigrées issues d’Afrique subsaharienne vivant en Île-de-France.

Annabel Desgrées du Loû, directrice de recherche à l’IRD, membre du centre population et développement (CEPED) et directrice adjointe de l’Institut Convergences Migrations, Nicolas Derche, directeur d’ARCAT, du Kiosque Infos Sida & Toxicomanie et directeur régional du groupe SOS et Romain Mbiribindi, directeur général d’Afrique Avenir, présentent ce projet de recherche.

Il s’agit d’une recherche interventionnelle qui vise à renforcer le pouvoir d’agir (empowerment) en santé sexuelle des personnes immigrées issues d’Afrique subsaharienne. Nous avons montré dans une recherche précédente, le projet ANRS-Parcours, qu’une grande partie des Africains suivis en France à l’hôpital pour un VIH/sida avait contracté le VIH après l’arrivée en France, en lien avec la précarité et les difficultés structurelles rencontrées lors de l’installation (1). A la suite à ces résultats, l’équipe de recherche et deux associations, Afrique Avenir et ARCAT, ont construit ensemble une intervention innovante pour améliorer dans cette population l’appropriation des moyens de prévention et de soins de santé sexuelle, renforcer l’autonomie, les capacités et le pouvoir d’agir de chacun afin de préserver sa santé. L’association Afrique Avenir fait de la sensibilisation aux risques sexuels auprès de la population africaine et caribéenne en Île-de-France, l’association ARCAT fait de l’accompagnement social pour les personnes précaires et vivant avec le VIH. En s’appuyant sur les expériences de ces deux structures et les résultats précédents de l’équipe de recherche, il a semblé nécessaire « d’aller vers » les personnes immigrées et précaires, pour contourner les barrières structurelles qui les éloignent de la prévention et des services de santé.

Nous avons donc construit une intervention « hors les murs », en région Île-de-France, adossée à l’action de sensibilisation à la santé sexuelle et de dépistage du VIH et de l’hépatite C menée par l’équipe mobile de l’association Afrique Avenir. Un camion se rend sur des lieux de passage (marchés, places, gares) fréquentés par la population originaire d’Afrique subsaharienne et y propose du dépistage VIH et hépatites. Parallèlement à ce dépistage proposé en routine, dans le cadre du programme Makasi un entretien motivationnel personnalisé était proposé aux personnes immigrées repérées comme précaires et exposées aux risques sexuels, avec une médiatrice de santé qui aidait les participants à hiérarchiser leurs besoins, puis une orientation active vers les structures adaptées aux besoins formulés par le participant.

Un volet recherche permet une évaluation de cette intervention par des méthodes mixtes : une évaluation quantitative d’impact et une évaluation qualitative des processus.

Ce projet a fait l’objet d’une phase pilote de neuf mois en 2018, au cours de laquelle les acteurs associatifs ont proposé son nom (« Makasi » signifie costaud, fort, résistant en Lingala, une langue parlée en Afrique centrale) puis de deux ans d’intervention (2019-2020). Au total, 849 personnes ont reçu l’intervention.

Comment les équipes scientifiques et les associations travaillent-elles ensemble ?

Chercheurs et acteurs associatifs ont défini ensemble le contexte et le contenu de l’intervention, ses conditions de mise en œuvre et d’évaluation, les outils de collecte des données, les outils de communication afin de solliciter les personnes ciblées et d’expliquer la démarche.

Globalement, les associations ont mis en place l’intervention et l’équipe de recherche son évaluation. Cependant, à chaque étape nous avons veillé à ce que les différentes équipes travaillent ensemble : les chercheurs ont été associés à la construction de l’intervention et les associations à la construction des hypothèses de recherche, la collecte et à l’analyse des données. Construire et mener ensemble, chercheurs et associatifs, une telle recherche, implique en effet de suivre quelques principes :

  •  impliquer les différentes parties prenantes à chaque étape ;
  • articuler les objectifs et les contraintes de l’action et de la recherche ;
  • prendre en compte et respecter la diversité des méthodes de travail et des contraintes liées à chaque métier (2).

Chercheurs et acteurs associatifs ont défini ensemble le contexte et le contenu de l’intervention, ses conditions de mise en œuvre et d’évaluation, les outils de collecte des données, les outils de communication afin de solliciter les personnes ciblées et d’expliquer la démarche. Les acteurs associatifs ont contribué à l’évaluation de l’intervention via la collecte des données (passation des questionnaires), la participation à l’interprétation des résultats (partage des résultats et discussions pour les interpréter) et à leur restitution (présentation en conférences à deux voix – chercheur et associatif). Les associations ont également dès le démarrage du projet réuni un comité communautaire qui a participé, en lien avec les chercheurs les acteurs associatifs, à la construction de l’intervention et de l’évaluation.

Les membres de ce comité étaient tous et toutes des personnes immigrées nées en Afrique subsaharienne et ayant connu des difficultés sociales, économiques et administratives lors de leur installation en France. Ils étaient bénéficiaires d’une des associations participantes au projet. Ce « comité communautaire » a aidé à définir le contenu de l’intervention et des représentants ont été invités aux réunions du groupe de recherche dans lequel étaient discutées des questions d’ordre méthodologique, éthique et les conditions de mise en œuvre de l’intervention.

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En quoi consiste le projet ANRS-Makasi ?

Les résultats sur l’impact de cette intervention innovante sur la santé sexuelle et le pouvoir d’agir des personnes précaires et cumulant des facteurs de vulnérabilité ne seront disponibles qu’au deuxième semestre 2022, les données sont en cours d’analyse.

Cependant ce projet a permis d’ores et déjà d’apporter plusieurs informations :

  •  Tout d’abord sur la façon dont la crise liée à la Covid a impacté cette population d’immigrés africains subsahariens précaires vivant en Île-de-France. En effet, grâce au dispositif d’enquête qui était en cours en mars 2020, au moment du premier confinement, nous avons pu suivre par téléphone les personnes qui participaient au projet et documenter leurs situations sociales et de santé. L’analyse de ces données collectées pendant le confinement de mars à mai 2020 a montré que cette situation a été particulièrement défavorable pour la santé mentale de personnes déjà fragilisées par l’insécurité de leur situation (le niveau de dépression est passé de 9 à 17 % [3]), et particulièrement déstabilisante pour des personnes en cours de construction de leur vie en France, dont les efforts ont été stoppés par la mise à l’arrêt des services administratifs et des possibilités d’accès au travail ou à l’aide associative (4).
  • Un autre résultat vient d’une analyse réflexive des enjeux, difficultés et apports de cette co-construction d’une recherche entre acteurs associatifs et chercheurs. Nous avons montré que la participation des personnes ou des communautés concernées aux différentes étapes de la recherche soulève plusieurs défis : la rémunération du temps alloué au projet (comment rétribuer le temps passé à partager les savoirs expérientiels ?) ; le partage sur les outils de collecte de données quantitatives (comment rendre compréhensibles pour tous les scores issus de la littérature scientifique, en particulier autour de notions complexes comme empowerment et littéracie ?) ; la nécessité de trouver les canaux et les temps nécessaires à l’échange pour une compréhension mutuelle.

De cette expérience, nous tirons plusieurs enseignements sur les conditions selon lesquelles la recherche associant chercheurs et acteurs des communautés concernées peut être féconde et conduire à la fois à une meilleure recherche, et à une amélioration des capacités d’action et de réflexion des personnes concernées par la recherche. Il est important de formaliser les dispositifs de collaboration et de participation, notamment en ce qui concerne la gouvernance et les dédommagements éventuels ; mettre en place des temps d’échanges réguliers, dans des espaces et sous des formes variées et pertinentes ; construire un climat de confiance, d’écoute et de respect entre toutes les parties prenantes comme socle indispensable, ce qui implique de savoir donner de la place à l’informel, aux réunions non planifiées, et de ne pas oublier de tenir compte des enjeux de pouvoir qui existent immanquablement, en portant une attention particulière aux rapports sociaux, aux rapports de genre et aux différences d’origine ethnique.

Quels sont les résultats attendus ?

Les résultats sur l’impact de cette intervention innovante sur la santé sexuelle et le pouvoir d’agir des personnes précaires et cumulant des facteurs de vulnérabilité ne seront disponibles qu’au deuxième semestre 2022, les données sont en cours d’analyse.

Cependant ce projet a permis d’ores et déjà d’apporter plusieurs informations :

  • Tout d’abord sur la façon dont la crise liée à la Covid a impacté cette population d’immigrés africains subsahariens précaires vivant en Île-de-France. En effet, grâce au dispositif d’enquête qui était en cours en mars 2020, au moment du premier confinement, nous avons pu suivre par téléphone les personnes qui participaient au projet et documenter leurs situations sociales et de santé. L’analyse de ces données collectées pendant le confinement de mars à mai 2020 a montré que cette situation a été particulièrement défavorable pour la santé mentale de personnes déjà fragilisées par l’insécurité de leur situation (le niveau de dépression est passé de 9 à 17 % [3]), et particulièrement déstabilisante pour des personnes en cours de construction de leur vie en France, dont les efforts ont été stoppés par la mise à l’arrêt des services administratifs et des possibilités d’accès au travail ou à l’aide associative (4).
  • Un autre résultat vient d’une analyse réflexive des enjeux, difficultés et apports de cette co-construction d’une recherche entre acteurs associatifs et chercheurs. Nous avons montré que la participation des personnes ou des communautés concernées aux différentes étapes de la recherche soulève plusieurs défis : la rémunération du temps alloué au projet (comment rétribuer le temps passé à partager les savoirs expérientiels ?) ; le partage sur les outils de collecte de données quantitatives (comment rendre compréhensibles pour tous les scores issus de la littérature scientifique, en particulier autour de notions complexes comme empowerment et littéracie ?) ; la nécessité de trouver les canaux et les temps nécessaires à l’échange pour une compréhension mutuelle.

De cette expérience, nous tirons plusieurs enseignements sur les conditions selon lesquelles la recherche associant chercheurs et acteurs des communautés concernées peut être féconde et conduire à la fois à une meilleure recherche, et à une amélioration des capacités d’action et de réflexion des personnes concernées par la recherche. Il est important de formaliser les dispositifs de collaboration et de participation, notamment en ce qui concerne la gouvernance et les dédommagements éventuels ; mettre en place des temps d’échanges réguliers, dans des espaces et sous des formes variées et pertinentes ; construire un climat de confiance, d’écoute et de respect entre toutes les parties prenantes comme socle indispensable, ce qui implique de savoir donner de la place à l’informel, aux réunions non planifiées, et de ne pas oublier de tenir compte des enjeux de pouvoir qui existent immanquablement, en portant une attention particulière aux rapports sociaux, aux rapports de genre et aux différences d’origine ethnique.

Comment voyez-vous la suite de ce projet ?

Pour les deux associations partenaires, ce projet de recherche interventionnelle a en premier lieu permis de construire de nouvelles réponses à des besoins auxquels elles n’étaient pas individuellement en capacité de répondre.

Les interventions d’Afrique Avenir et leurs modalités de financement ne permettaient pas d’intégrer une offre de médiation en santé en capacité d’élaborer un plan d’action individualisé couvrant les besoins en santé globale mais également les besoins administratifs et sociaux afin de proposer des orientations et des actions adaptées. ARCAT, par sa structuration et ses différents champs d’intervention, n’était pas en capacité d’initier des actions d’outreach au plus près des publics les plus exposés aux risques en santé sexuelle. Makasi a permis de mobiliser l’expertise et les savoirs-faire spécifiques de ces deux associations pour proposer une intervention capable d’appréhender globalement la situation des personnes accueillies sur les actions de dépistage afin d’agir sur des déterminants sociaux et administratifs constituant des freins à l’entrée et au maintien dans un parcours de santé.

Des transferts de compétences ont donc été initiés entre les deux associations grâce au projet Makasi et ces nouvelles compétences sont pleinement intégrées dans les projets développés aujourd’hui par les associations.

La mobilisation du comité communautaire et la collaboration quotidienne avec Afrique Avenir, association de santé communautaire, a également eu des effets bénéfiques en permettant à ARCAT, association dont l’offre d’accompagnement relève en grande partie du champs médico-social, de se réapproprier la culture participative en impliquant les premiers et premières concernés dès l’élaboration du projet et jusqu’à sa mise en œuvre et son évaluation. La mobilisation des savoirs expérientiels par les associations a été renforcée par la dynamique du projet et nous a amené à l’intégrer dans la conduite de nos nouveaux projets.

Pour ARCAT, le comité communautaire a également permis d’identifier des compétences, des savoirs et des envies d’engagement pour quelques-uns de ses membres. D’autres projets ont ainsi pu être construits et initiés grâce à des membres du comité communautaire. C’est notamment le cas du projet [Re]pairs, qui propose une offre de médiation en santé globale assurée par de nouveaux professionnels issus du comité communautaire et qui ont suivi un parcours de professionnalisation tout au long de l’année 2020 en parallèle de la conduite d’action en outreach auprès du public africain subsaharien au sein d’associations ou établissements de santé partenaires. Les outils innovants dans le repérage de facteurs de vulnérabilité ou de situations préoccupantes, construit par et pour le projet Makasi, sont mobilisés et transposés à ce projet.


En savoir plus :

https://www.projet-makasi.fr/

Contact presse :

Département de communication et d’information scientifique de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes :

information@anrs.fr