ANRS (1988-2020) : 32 ans au service de la recherche sur le VIH/sida et les hépatites virales

Publié le 22 décembre 2020

fond_blanc_avec_marges

En cette fin d’année 2020, dominée par la pandémie de Covid-19, l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) clôt un chapitre important de son histoire pour donner naissance à un nouveau projet. Créée en 1988 face à l’urgence de l’épidémie à VIH, un virus émergent tout comme le SARS-CoV-2, l’ANRS cessera, comme telle, d’exister au 31 décembre 2020 pour permettre la création d’une nouvelle agence issue de son rapprochement avec le consortium REACTing. Cette nouvelle entité verra le jour au 1er janvier 2021. Elle poursuivra le travail engagé par l’ANRS dans le domaine du VIH, des hépatites virales, des infections sexuellement transmises (IST) et de la tuberculose mais étendra sa compétence aux maladies infectieuses émergentes. 

Pendant 32 ans, l’ANRS a financé, coordonné et animé de la recherche au plus haut niveau et a su intégrer les associations de patients et la société civile à toutes ses décisions, créant ainsi un modèle inédit dans le paysage de la recherche française et européenne. Elle laisse un bilan d’avancées scientifiques de premier ordre et des collaborations fructueuses en France, comme à l’international. Un ouvrage sur l’histoire de l’ANRS paraîtra en 2021.

L’ANRS a réussi à mobiliser dans la durée les forces de recherche sur le VIH et les hépatites virales en France et dans les pays partenaires. Ceci n’aurait sans doute pas été possible sans l’effort financier durable et constant de l’État, quelles que soient par ailleurs les fluctuations des politiques de recherche et de leur organisation. 

Comme l’a exprimé notre dernier conseil d’orientation, le 20 novembre dernier, en approuvant la fusion de l’ANRS avec REACTing, nous souhaitons que la nouvelle agence continue à financer et animer, dans les meilleures conditions, la recherche sur le VIH, les hépatites virales et les IST tout en s’inspirant du  modèle original et innovant qui fut le gage du succès de l’ANRS : organiser la recherche dans le contexte des crises sanitaires en  donnant les moyens à la communauté scientifique, en dialogue étroit avec la société civile, de combattre sur la durée les infections émergentes.

François Dabis, Directeur de l’ANRS

Louis Gautier, Président du Conseil d’Orientation de l’ANRS

 


Le 31 décembre 2020, l’ANRS connaitra la dernière phase de son évolution. En effet, elle cédera la place dès le 1er janvier 2021 à une nouvelle agence de recherche sur les maladies infectieuses et les émergences issue de sa fusion avec le consortium REACTing. Cette nouvelle agence autonome de l’Inserm conservera les fondamentaux de l’ANRS : la capacité de financement, d’animation et de promotion de la recherche, l’approche pluridisciplinaire et transversale, un réseau national et international structuré et la contribution affirmée de la société civile. Ce sont ces spécificités qui ont fait le succès de l’ANRS au fil des ans et que nous souhaitions rappeler à quelques jours de cette date événement.

1988 : création d’une agence unique en son genre pour répondre à une situation inédite

En 1988, cela fait déjà cinq ans que le VIH a été identifié. L’épidémie ne cesse de prendre de l’ampleur en France comme dans le reste du monde : propagation explosive, faible réponse politique, stigmatisation des groupes les plus vulnérables, espérance de vie courte chez les jeunes adultes contaminés. Les travaux de recherche sur ce virus et sur les impacts de cette épidémie sont encore peu nombreux et non coordonnés. Le gouvernement réforme alors son programme national de recherche sur le sida instauré deux ans plus tôt pour créer le 22 novembre 1988 l’ANRS, aux côtés du Conseil national du sida et de l’Agence française de lutte contre le sida. Le rôle de l’ANRS dans ce dispositif est d’assurer les missions de financement, d’évaluation, de coordination des recherches menées sur le VIH/sida, en collaboration avec toutes les institutions de recherche (CNRS, Inserm, Institut Pasteur, universités et hôpitaux). C’est la seule agence publique nationale consacrée au VIH en Europe.

L’ANRS crée son propre modèle de fonctionnement en se structurant en services scientifiques (recherches fondamentales, recherche vaccinale, recherche clinique, recherche en sciences humaines et sociales et santé publique, recherche dans les pays du Sud, pharmacovigilance), en Actions coordonnées (AC), chargées d’animer et de coordonner la recherche, et en Comités scientifiques sectoriels (CSS), composés d’experts français et internationaux qui évaluent les demandes de financement. Des instances de gouvernance, réunissant des représentants des ministères, des instituts de recherche, des associations de patients et de lutte contre le sida, ainsi que des experts internationaux du Nord et du Sud, sont mises en place pour définir la stratégie et les orientations de l’Agence. 

Avec des statuts juridiques évoluant au fil des années (groupement d’intérêt public en 1992 puis agence autonome de l’Inserm à partir de 2012), l’ANRS a toujours veillé à garantir son autonomie financière, scientifique et stratégique, une des clés de son succès. Elle a su rassembler dans ce modèle une large communauté de chercheurs français et internationaux de haut niveau. En 1998, Jean-Paul Lévy, le directeur fondateur, laisse sa place à Michel Kazatchkine. Jean-François Delfraissy assure sa succession de 2005 à 2016, puis François Dabis devient le dernier à diriger l’ANRS de 2017 à 2020. Chacun a impulsé une nouvelle dynamique à l’agence, qui s’adaptera et se diversifiera en fonction de l’évolution du contexte scientifique et sociétal.  

L’ouverture à l’international et à de nouvelles pathologies

Avec la mise au point des trithérapies antirétrovirales en 1996 consécutive à 15 ans de recherches, l’horizon s’éclaircit pour la première fois pour les personnes vivant avec le VIH. Tout en maintenant les moyens dévolus à la recherche sur le VIH, l’ANRS décide d’appliquer son modèle à de nouvelles pathologies. Ainsi, en 1999, elle étend son périmètre à l’hépatite C, une infection qui touchait alors près de 600 000 personnes en France, dont de nombreuses personnes co-infectées par le VIH. L’Agence intègrera aussi la recherche sur l’hépatite B à partir de 2005, consacrant dès lors 25 % de son budget aux hépatites virales. Les succès spectaculaires obtenus par la recherche avec les antiviraux à action directe aboutissent dans les dix ans qui suivent à la possibilité de guérir définitivement de l’hépatite C la très grande majorité des patients ainsi traités. L’ANRS élargit encore son périmètre en 2019, avec les IST et la tuberculose.

Les problèmes liés au VIH et aux hépatites virales ne sont pas identiques en France et dans les pays à ressources limitées et ces derniers deviennent rapidement l’épicentre de la pandémie à VIH. C’est pourquoi l’ANRS ouvre dès 1994 son premier site à l’étranger, à Dakar (Sénégal), permettant aux équipes sénégalaises et françaises de collaborer sur tous les projets de recherche de leur conception jusqu’à leur réalisation, en adéquation avec les priorités de santé du pays. Sept autres sites (Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Cameroun, Egypte, Brésil, Cambodge et Vietnam) suivront, ainsi que de nombreuses autres collaborations internationales dans une trentaine de pays. Un service de l’agence dédié aux collaborations et aux projets internationaux est créé en 1999. Une charte éthique est rédigée en 2002, et révisée deux fois depuis, précisant les bonnes pratiques en matière de recherche sur le VIH et les hépatites dans les pays à ressources limitées, en précisant et adaptant les textes de référence sur la recherche sur l’homme.

Le financement de la recherche selon le principe de l’appel à projets

Dès 1989, l’ANRS dispose d’un budget de 150 millions de francs (l’équivalent actuel de 36,5 millions d’euros) dédié au VIH et protégé de toute concurrence avec les autres domaines de la recherche biologique et médicale. Ce budget évoluera au fil des ans pour atteindre près de 45 millions d’euros en 2020. La majeure partie provient de subventions d’État pérennes des ministères de tutelles (ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ministère des Solidarités et de la Santé et ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) ; 92 % du budget annuel va directement aux programmes de recherche.

Le premier appel d’offres lancé en 1989 reçoit 472 demandes de financement de projets de recherche dont 250 seront retenues. Pour gagner en réactivité, l’Agence met en place deux appels à projets par an à partir de 1999. Et, pour la première fois, un troisième appel à projet est ouvert en 2020 afin de soutenir en urgence la recherche sur la Covid-19 dans les pays à ressources limitées. Le taux global de succès aux appels à projets est actuellement de 37 %. Le financement sans interruption sur 32 ans d’un très grand nombre de projets de recherche, de bourses doctorales et postdoctorales, via les appels d’offres, a permis à plusieurs générations de chercheurs de se former, de mener tout ou partie de leur carrière en interaction étroite avec l’ANRS dans ses instances d’animation ou d’évaluation et de produire en retour les travaux valorisant ce modèle et le rendant visible et reconnu en France et à l’international.

L’engagement de la société civile

En 1991, afin de tester les premiers candidats vaccins, l’ANRS crée un réseau de volontaires pour les essais cliniques, recrutés à l’aide d’annonces dans la presse. Des centaines de volontaires, âgés de 21 à 50 ans, séronégatifs et sans problème de santé grave, répondent à l’appel. Grâce à cet élan altruiste, plusieurs essais vaccinaux auront lieu jusqu’en 2014 – le dernier en date – sans pour autant parvenir à obtenir un vaccin préventif efficace. De nouvelles approches sont actuellement développées par le Vaccine Research Institute (VRI), plateforme de référence de la recherche vaccinale VIH de l’ANRS.

Toujours à partir de 1991, des représentants associatifs siègent pour la première fois au Conseil scientifique de l’Action coordonnée n° 5 de l’ANRS, animant et évaluant alors la recherche clinique. L’année suivante, le TRT-5 (Traitements et recherches thérapeutiques-5) est fondé. Ce groupe réunit cinq associations et vise à obtenir des institutions publiques et des entreprises privées une meilleure prise en compte des malades dans la recherche. À l’ANRS, les membres du TRT-5 bénéficient de formations scientifiques pour les aider à mieux comprendre les enjeux de la recherche. Ils examinent aux côtés des équipes les protocoles des essais cliniques avant leur mise en route et suivent leur déroulement afin de les perfectionner et d’améliorer leur acceptabilité pour les patients et de mieux prévoir la diffusion des résultats. Avec l’évolution des enjeux et du périmètre de l’agence, de nouvelles associations rejoignent le TRT-5 et d’autres représentent les personnes vivant avec une hépatite virale chronique dans toutes les instances de l’agence. Ce modèle perdure encore et certaines associations sont même devenues des acteurs à part entière de projets de recherche, assumant des responsabilités d’investigateur en France et à l’international dans les pays à ressources limitées. 

Les succès scientifiques

Au fil des décennies, le modèle de l’ANRS a largement montré son efficacité et sa pertinence. L’Agence a permis des avancées scientifiques significatives en soutenant des équipes de haut niveau, publiant des travaux innovants dans les grandes revues scientifiques. Ces recherches ont régulièrement contribué à mettre à jour les recommandations nationales et internationales sur la prise en charge des malades, ainsi que sur la prévention. De nombreuses études financées par l’ANRS font ainsi référence dans l’histoire de la recherche sur le VIH. On citera par exemple, les travaux pivots sur la réduction de la transmission du VIH de la mère à l’enfant dès les années 90 en France et en Afrique de l’Ouest, le succès des essais de trithérapie chez les patients en échec thérapeutique dans les années 2000, les résultats majeurs en matière de bénéfices individuels et de santé publique des essais de traitement antirétroviral universel et immédiat dans les années 2010 en France et en Côte d’Ivoire. Enfin, les équipes françaises ont montré leur rôle essentiel au cours de la dernière décennie dans les études sur les réservoirs cellulaires VIH et dans les essais sur la simplification thérapeutique et la prophylaxie préexposition (PrEP).

Concernant les hépatites virales, les résultats des recherches cliniques sur l’hépatite C ont abouti à la décision politique en 2016 de rendre le traitement universel et gratuit en France. Les équipes de recherches soutenues par l’ANRS ont également fait des découvertes marquantes sur l’entrée du virus de l’hépatite C dans les cellules, sur les modes de contamination et la susceptibilité génétique en Egypte ou encore sur la prévention de la transmission chez les usagers de drogue au Vietnam. La cohorte ANRS CO22 HEPATER, unique en Europe, a permis au cours des dix dernières années d’inclure plus 21 000 patients infectés par les virus de l’hépatite B ou C, et leur suivi se poursuivra pendant au moins cinq ans. La recherche sur la guérison de l’hépatite B a donné lieu en 2020 à la création d’une Task Force ANRS pour mieux coordonner et accélérer les recherches en la matière. 

En étant promoteur institutionnel d’essais cliniques, d’études physiopathologiques et d’une douzaine de cohortes, l’ANRS met à disposition des chercheurs plus de deux millions d’échantillons biologiques issus de sa biobanque, l’une des plus riches sur les pathologies en rapport avec le VIH et les hépatites virales. 

La reconnaissance internationale de l’ANRS comme moteur et fédérateur de la recherche peut être appréciée de plusieurs manières. En 2017, la France se classait en deuxième position des pays européens en nombre de publications scientifiques sur le VIH et en quatrième position mondiale. Concernant les hépatites virales, la recherche française figurait la même année au premier rang dans le top 1 % et dans le top 10 % mondiaux des articles les plus cités. L’ANRS représente la France au comité stratégique de l’agence spécialisée des Nations Unies Onusida, ainsi qu’au Comité stratégique et technique VIH/hépatites/IST de l’OMS. L’International AIDS Society a organisé conjointement avec l’ANRS les 2e et 9e conférences mondiales sur le VIH à Paris en 2003 et en 2017. Ce dernier événement a réuni plus de 6 000 participants et 1 700 communications scientifiques y ont été présentées.

Tout au long de son histoire, en privilégiant les approches pluridisciplinaires, en restant au plus près des intérêts des communautés et en donnant une place importante aux sciences sociales, l’ANRS a aussi pu se positionner comme interlocuteur privilégié auprès des décideurs politiques en France et montrer qu’elle pouvait infléchir les décisions de santé publique.

Horizon 2030

L’ANRS a réussi à mobiliser rapidement mais surtout dans la durée les forces de recherche sur le VIH et les hépatites virales. Ceci n’aurait sans doute pas été possible sans l’effort financier durable et constant de l’État, indépendamment des fluctuations des politiques de recherche et de leur organisation.

L’élimination des hépatites virales B et C est désormais envisageable en France et dans le monde d’ici 2030 grâce aux progrès de la recherche déjà engrangés, mais les solutions disponibles pourront encore être optimisées. La pandémie de VIH n’est par contre pas réglée. En théorie, les solutions déjà validées par la recherche, si elles étaient appliquées partout et à des niveaux très élevés de couverture, sont suffisantes pour amorcer son contrôle, mais on peut douter que sera le cas. La recherche reste donc absolument nécessaire. Elle vise, d’une part, à limiter durablement la transmission du virus aux moyens d’un vaccin préventif qui continue à manquer. Elle espère, d’autre part, permettre à tout ou partie des 38 millions de personnes vivant avec le VIH d’atteindre le stade de la rémission voire, un jour, la guérison. Ce sont ces défis que la future agence aura à relever dans la décennie qui débute, forte du savoir-faire de ces 32 dernières années.

L’ANRS a participé à structurer depuis dix ans les efforts français de recherche en situation d’urgence lors des épidémies de grippe A H1N1, de Zika, ou d’Ebola dans le cadre du consortium REACTing. L’émergence de la pandémie de Covid-19 a amené l’ANRS à se rapprocher de REACTing et a ainsi facilité la structuration de la recherche française sur ce virus et cette nouvelle maladie. La fusion entre l’ANRS et REACTing dans une nouvelle agence de recherches sur les maladies infectieuses avait tout son sens. Elle était déjà en discussion avant cette pandémie, considérant le caractère de plus en plus global des problèmes de santé publique bien connus (VIH, hépatites) ou de ceux pressentis comme potentiellement sérieux (infections émergentes). Le souhait politique de proposer une nouvelle organisation a finalement été exprimé à la mi-2020 par la ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Le vote du conseil d’administration de l’Inserm, le 3 décembre 2020, est venu entériner la création d’une nouvelle agence autonome au 1er janvier prochain, après un semestre de travail collaboratif inédit. Pendant que la nouvelle agence se structure et s’organise, un ouvrage sur l’histoire de l’ANRS est en cours de rédaction. Ce projet collaboratif démarré en 2018 et retraçant 32 ans d’aventures scientifiques inédites sera publié en 2021 aux Editions Odile Jacob. 

La fin juridique de l’ANRS n’en est pas vraiment une dans les faits. La nouvelle agence continuera à financer et animer la recherche sur le VIH, les hépatites virales et les IST tout en retournant à ses origines : organiser la recherche dans le contexte des crises sanitaires et donner les moyens à la communauté scientifique, avec la société civile, d’apprendre à combattre sur la durée les infections émergentes.

 


Contact presse

Cécile Pinault

information@anrs.fr

 


Télécharger le communiqué de presse