Anja Böckmann : la biologie structurale pour lutter contre les maladies infectieuses émergentes

Dernière mise à jour le 20 janvier 2025

L’essentiel

  • Anja Böckmann est directrice de recherche au CNRS et cheffe de l’équipe « RMN du solide des Protéines » dans l’unité de recherche Microbiologie Moléculaire et Biochimie Structurale à l’Institut de Biologie et Chimie des Protéines à Lyon.
  • Elle est lauréate du prix Impulscience® de la Fondation Bettencourt Schueller, et membre active des instances et groupes d’animations scientifiques de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes.

En quoi la biologie structurale permet-elle de lutter contre les maladies infectieuses ?

Anja Böckmann : En tant que spécialiste en biologie structurale, j’adopte une approche moléculaire pour étudier des maladies infectieuses causées par des arbovirus. Ces virus, transmis principalement par des tiques et des moustiques, incluent notamment ceux responsables de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo et de la fièvre de la vallée du Rift.

Mes travaux de recherche portent sur l’étude de la structure de deux éléments clés que sont les protéines NSm et NSs. Ces deux protéines sont considérées comme des facteurs de virulence car elles aident les virus à coloniser l’hôte. C’est là tout l’intérêt de la biologie structurale qui va permettre, en étudiant ces protéines clés, de mieux comprendre la virulence des arbovirus. Cependant, l’étude de ces protéines présente de nombreux défis, notamment en raison de la nature membranaire ou fibrillaire de ces protéines, qui les rend difficiles à produire et à étudier.

« Étudier la structure des protéines clés des arbovirus permet de mieux comprendre leur virulence »

Quelle technique utilisez-vous pour étudier ces protéines ?

Anja Böckmann : Pour relever ces défis, je m’appuie sur la résonance magnétique nucléaire (RMN) du solide, une technique que j’ai développée au cours des 25 dernières années au CNRS. Contrairement à la RMN en solution, qui est limitée aux petites protéines, la RMN du solide permet d’étudier des protéines complexes dans leur contexte naturel, comme au sein des membranes ou des structures cellulaires.

Aujourd’hui, mon équipe vise à appliquer cette technique directement dans les cellules, un saut technologique majeur qui pourrait offrir une compréhension inédite de ces protéines dans leur environnement natif.

Quel a été votre parcours scientifique et comment avez-vous développé votre expertise en RMN du solide ?

Anja Böckmann : Je suis chimiste de formation et j’ai effectué mes études à Berlin et Strasbourg avant de réaliser ma thèse à Paris. Lors d’un post-doctorat à l’Université Columbia à New York, j’ai découvert la RMN du solide, alors en plein développement pour les protéines. Depuis mon retour au CNRS, j’ai contribué à surmonter deux obstacles majeurs : améliorer la sensibilité de la RMN du solide et développer des systèmes de production acellulaires pour des protéines virales souvent toxiques.

Mon laboratoire, unique en son genre, utilise des extraits de germes de blé pour produire ces protéines « sans cellules ».

Comment votre collaboration avec l’ANRS Maladies infectieuses émergentes a-t-elle contribué à vos projets de recherche ?

Anja Böckmann : Tout au long de mon parcours, j’ai bénéficié du soutien et des interactions avec l’ANRS Maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE). Cette collaboration, débutée il y a une quinzaine d’année, m’a permis d’échanger avec des chercheurs en virologie et des cliniciens sur des projets communs, notamment dans le cadre de l’étude des hépatites B et D. Je souligne l’importance de ces échanges, qui ont enrichi ma perspective et renforcé mon désir de créer des ponts entre recherche fondamentale, virologie et clinique.

L’une des grandes forces de l’ANRS MIE est sa capacité à connecter les différents aspects de la recherche, du niveau moléculaire à l’approche clinique. C’est un lieu unique où l’on peut échanger de manière transversale avec des experts hautement compétents, ce qui reste rare dans le paysage du financement de la recherche. L’ANRS MIE constitue véritablement une exception en termes de soutien et de structuration des projets scientifiques.

L’une des grandes forces de l’ANRS MIE est sa capacité à connecter les différents aspects de la recherche, du niveau moléculaire à l’approche clinique

Quelles sont vos perspectives pour les cinq prochaines années ?

Grâce au prix Impulscience®, je me concentre sur les maladies infectieuses émergentes, avec un intérêt particulier pour les arbovirus. Je prévois d’approfondir mes recherches sur la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, tout en poursuivant des travaux sur les hépatites B et D avec mon équipe. En parallèle, je continue de collaborer au sein de l’ANRS MIE avec notamment la participation à une nouvelle action coordonnée « Cibles virales diagnostiques, thérapeutiques et vaccinales ». Cette approche intégrée, qui combine analyse structurale, chimie médicinale et collaboration interdisciplinaire, promet d’apporter des réponses innovantes à la prise en charge de maladies infectieuses émergentes.