Clotilde Allavena est infectiologue au service de maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nantes, spécialiste du VIH. Après avoir suivi les échanges et les présentations à la CROI, elle nous présente les trois points qu’elle retient en matière de traitement contre le VIH.
Dernière mise à jour le 13 mars 2023
Parmi l’actualité thérapeutiques VIH de la CROI, de nouvelles données ont été apportées sur le lénacapavir, un nouvel inhibiteur capsidique à action prolongée en cours de développement.
Les résultats à 52 semaines de l’étude CALIBRATE ont été présentés. Cette étude compare quatre traitements en première ligne :
La seconde étude, CAPELLA, porte sur des patients en échec virologique multirésistants. Les 72 patients étaient divisés en deux groupes :
Au bout d’un an de traitement, dans le premier groupe, 83 % des patients ont une charge virale indétectable. Ce pourcentage est de 81 % au bout de six mois dans le second groupe.
« Ces patients sont immunodéprimés, infectés par des souches virales extrêmement résistantes – plus de la moitié n’ont pas plus d’une molécule encore active dans leur schéma thérapeutique. 60 % des patients avait un taux de lymphocytes CD4 inférieur à 200/mm3. Ces résultats montrent tout l’intérêt de cette nouvelle molécule », rapporte la clinicienne. Dans les cas d’échec, huit patients ont présenté des résistances au lénacapavir, observées dans les cas où ils n’avaient aucune molécule active associée ou des problèmes importants d’observance. « Aujourd’hui, il manque encore des molécules qui auraient une durée d’action aussi longue que le lénacapavir pour y être associées. Les essais portant sur l’association entre le lénacapavir et l’islatravir (molécule à longue demi-vie) sont interrompus en raison d’un effet secondaire de l’islatravir, se traduisant par une lymphopénie, encore inexpliqué chez certains patients », modère l’infectiologue.
Les bNAbs sont des molécules injectables encore aux premiers stades de la recherche clinique. Deux essais de phase I ont été présentés à la CROI (l’une associant deux bNAbs et l’autre trois bNAbs), ayant inclus un total de dix patients – certains n’ayant jamais reçu de traitements antirétroviraux, d’autres en interruption de traitement depuis au moins quatre semaines. Parmi eux, trois patients ont obtenu une charge virale indétectable prolongée jusqu’à 70 jours. Chez six patients, une baisse significative de la charge virale a été observée avant qu’elle ne remonte après deux à quatre semaines.
« On constate, d’une part, que la demi-vie attendue de ces bNAbs est plus courte que celle observée dans les études chez les patients non infectés par le VIH, ce qui est inattendu. D’autre part, chez les patients en échec, des souches virales pré-existantes ont été identifiées comme résistantes à au moins un bNAbs proposé. Il s’agit ici davantage d’une preuve de concept, analyse Clotilde Allavena. Peut-être qu’à l’avenir les bNAbs, lorsqu’ils auront leur place dans les pratiques cliniques, seront davantage indiqués en traitement de maintenance avec des antirétroviraux classiques ou en traitement intermittent. Les associations de bNAbs devront prendre en compte les souches virales qu’ils sont capables de neutraliser et la durée du contrôle de la réplication virale, qui varient d’un bNAbs à l’autre. Beaucoup reste à découvrir sur ces anticorps et sur les associations thérapeutiques efficaces. »
Plusieurs études se sont penchées sur les traitements antirétroviraux (ARV) pendant la grossesse, chez les nouveau-nés et sur la transmission materno-fœtale.
La cohorte française ANRS EPF s’est intéressée à l’évolution du taux d’échec virologique chez des femmes enceintes infectées par le VIH entre 2000 et 2017 selon trois périodes : 2000-2005, 2006-2010, 2011-2017. Durant ces trois périodes, le pourcentage de femmes sous traitement ARV à l’accouchement est passé de 67,7 % à 99,2 % et de 28,3 % à 65,8 % au moment de la conception. L’équipe de recherche a observé une baisse significative de la transmission materno-fœtale sur ces trois périodes passant de 1,1 % en 2000-2005 à 0,2 % en 2011-2017. « Si le taux de transmission a diminué avec le temps, c’est parce qu’au moment de l’accouchement, le pourcentage de femmes ayant une charge virale indétectable s’est accru dans la période récente, passant de 70 % à 93 % en 2017. Ce qui est important à retenir, c’est qu’il n’y a eu aucune contamination chez les femmes sous traitement avant la conception et qui avaient une charge virale indétectable à l’accouchement », indique l’infectiologue. Ce sont des données rassurantes pour Clotilde Allavena : « Au vu de ces résultats, on peut aussi affirmer que U=U même pendant la grossesse. Ces données viennent conforter ce qu’on pensait déjà. Même le risque de transmission plus élevé en cas de prématurité sévère (avant 32 semaines) n’est plus retrouvé dans la période la plus récente. »
L’étude IMPACT 2010, menée en Afrique, a, quant à elle, comparé trois traitements chez 650 femmes suivies pendant leur grossesse. Elles étaient réparties selon trois bras :
Une meilleure efficacité virologique du dolutégravir a été relevée comparé à l’efavirenz. « L’information nouvelle concerne la taille et le poids des nouveau-nés : même si globalement un nombre significatif de nourrissons présentaient un retard de croissance, les nouveau-nés de mères sous dolutégravir, associé au TDF ou au TAF, présentaient un retard staturo-pondéral moins important que les nouveau-nés de mères sous efavirenz. Ces données sont rassurantes sur l’usage du dolutégravir pendant la grossesse en termes de croissance staturopondérale des nouveau-nés », indique la chercheuse.
Un troisième point abordé pendant la CROI concerne la possibilité d’interrompre le traitement chez des nouveau-nés infectés à la naissance et traités très tôt. En tenant compte des caractéristiques repérées dans le cas du « bébé du Mississippi », une équipe de chercheurs a analysé au sein de cohortes d’enfants infectés à la naissance avec une charge virale détectable à la naissance mais qui ont démarré un traitement dans les 48 h après la naissance, le pourcentage d’enfants chez qui une interruption de traitement est envisageable. Pour avoir des réservoirs suffisamment réduits, envisager une interruption de traitement et un maintien de l’indétectabilité, ils ont identifié trois critères : une charge virale non détectable, l’absence d’anticorps anti-VIH chez l’enfant et un ADN viral non détectable. Environ 30 % des enfants issus des cohortes ont ces caractéristiques. « Potentiellement, il y aurait beaucoup d’enfants qui pourraient bénéficier d’interruptions de traitements, indique Clotilde Allavena. Toutefois, ces interruptions de traitements ne sont pas encore réalisables, car il faut trouver un moyen de limiter au maximum les risques chez les enfants. Ce sont malgré tout des informations pragmatiques qui montrent que les choses avancent dans ce domaine. »
CROI – Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections : https://www.croiconference.org/
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