Rencontre avec Marcellin Nouaman à propos du projet Princesse à destination des travailleuses du sexe en Cote d’Ivoire

Rencontre avec Marcellin Nouaman à propos du projet Princesse à destination des travailleuses du sexe en Cote d’Ivoire

Publié le 07 mars 2022

Nouaman Marcellin est spécialiste de santé publique. A l’occasion du point presse sur la question du genre dans les projets de recherche scientifique organisé en amont de la journée internationale des droits des femmes, il a présenté le projet ANRS Princesse qui développe, documente et analyse une offre de soins communautaire combinant dépistage et prévention combinée, traitement immédiat du VIH, prise en charge de l’hépatite B et santé sexuelle et reproductive à destination des travailleuses du sexe en Cote d’Ivoire.

Bonjour M. Marcellin Nouaman, pouvez-vous vous présenter ? Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur les projets ayant un lien avec la question de genre ?

Je suis docteur en sciences odontologiques et titulaire d’un MBA en gestion des projets de santé et spécialiste en santé publique internationale.

Depuis 2014, j’interviens en tant que chef de projet au sein du programme PAC-CI / site partenaire ANRS en Côte d’Ivoire. Mon champ d’intervention porte sur l’infection VIH chez les populations clés que sont les travailleuses du sexe (TS) et les hommes ayant les rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). En effet, la prévalence du VIH est importante chez ces populations (7,5 % et de 12,3 % respectivement chez les TS et les HSH). Nos études exploratoires ont permis de montrer qu’à côté des mesures traditionnelles de prévention et de prise en charge de l’infection VIH, les TS ont des besoins non couverts, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive (SSR) et ces TS rencontrent de nombreux obstacles pour accéder aux soins de SSR en raison de la stigmatisation et discrimination qui augmentent leur vulnérabilité et entravent leur droit d’accès aux services de santé. Cet isolement a des répercussions sur leur santé et leur bien-être et sur la SSR en particulier. C’est pourquoi, nos projets de recherche pour cette population sont orientés de façon à couvrir tant bien que mal les besoins essentiels des TS. C’est le cas du projet ANRS Princesse.

En quoi consiste le projet Princesse ?

Il fait suite au projet ANRS PrEP-CI, qui avait fait six constats majeurs :

  • L’ensemble des TS a des besoins non couverts en SSR, qu’elles soient infectées ou non par le VIH, qu’elles désirent initier une prophylaxie préexposition (PrEP) ou non.
  • La mise en œuvre opérationnelle d’une PrEP VIH nécessite de (re)penser un suivi chronique des TS non infectées par le VIH dans le cadre d’un paquet de soins global en santé sexuelle et reproductive.
  • Dans un contexte de prévalence élevée de l’hépatite B, la mise à disposition d’antirétroviraux (ARV) pour la prévention du VIH ne peut se faire sans mise à disposition de ces mêmes ARV pour le traitement de l’hépatite B.
  • Afin de minimiser la stigmatisation liée à l’entrée en soins, la prise en charge des TS infectées par le VIH et le suivi préventif des TS non infectées ne peuvent être dissociés.
  • L’accès aux cliniques communautaires à la suite des activités menées en stratégie avancée (sur les sites prostitutionnels) reste insuffisant.
  • La forte mobilité des TS est un frein à la continuité des soins.

Le dispositif Princesse a donc été élaboré à partir de ces constats dans le cadre d’ateliers conjoints entre l’équipe de recherche et les équipes médicales et communautaires d’Espace Confiance (Abidjan) et d’Aprosam (San Pedro). Il a également bénéficié des conseils du groupe de travail « Populations clés » de l’AC12 « pays en développement », de l’AC18 « Recherches en prévention » de l’ANRS et de l’AC « Recherche interventionnelle en santé publique » portée par l’IReSP et l’AVIESAN.

Le projet ANRS Princesse est une cohorte interventionnelle mono-bras de 500 TS à San Pedro. L’objectif général est de développer, documenter et analyser une offre de soins communautaire combinant dépistage, prévention combinée dont la PrEP, le traitement immédiat du VIH, la prise en charge de l’hépatite B et la SSR.

L’approche retenue est un dispositif comprenant :

  • une offre de soins intégrée, globale, en SSR (constats 1 et 2), centrée sur les personnes et combinant prise en charge du VIH et une offre de PrEP (constat 4), articulée avec une prise en charge VHB (constat 3) ;
  • des cliniques mobiles semi-fixes, complémentaires des cliniques communautaires et des activités sur sites des paires éducatrices, permettant de délivrer ce paquet de soins au plus près des TS (constat 5), en assurant la continuité des soins (constat 6) entre cliniques mobiles et cliniques communautaires.

Les premières inclusions ont eu lieu le 26 novembre 2019 et la fermeture de la cohorte est prévue courant juin 2023.

A quelle forme de stigmatisation et de marginalisation les travailleuses du sexe sont-elles confrontées ?

Les TS sont exposées de façon disproportionnée à la violence et à la stigmatisation. Cette violence est perpétrée notamment par les forces de l’ordre, les clients, des individus qui se font passer pour des clients, des représentants des institutions tels que le personnel médical et d’autres TS.

Les TS font l’objet de stigmatisation, de discrimination négative et de rejet par les familles et la société du fait de leur activité. De plus, celles infectées par le VIH sont doublement exposées à la stigmatisation.

En Côte d’Ivoire, il faut situer les formes de stigmatisation et de marginalisation à deux niveaux :

Au niveau familial

Au niveau de la famille, il y a la stigmatisation du fait de la pratique du travail du sexe.

Mais être une TS infectée par le VIH expose à une double stigmatisation, car la stigmatisation liée à la séropositivité au VIH s’ajoute à celle entrainée par le statut de TS. Ceci entraine l’isolement et/ou l’exclusion de la famille

La stigmatisation dans la rue et dans le milieu de lutte contre le VIH/sida

Cette stigmatisation prend la forme de railleries et d’agressions dans les rues du fait de leur activité de TS. Il y a également des TS qui affirment qu’elles vivent des situations de discrimination négative de la part des autres acteurs de la lutte contre le VIH/sida. En effet, la stigmatisation se manifeste au cours des débats, lorsqu’elles défendent leurs points de vue, leurs intérêts lors des ateliers ou réunions des ONG et autres organisations de lutte contre le VIH/sida, par des railleries, des plaisanteries de mauvais goût, des moqueries. Cela participe à l’autocensure des TS dans des réunions ou lors des conférences nationales sur le VIH/sida.

Les travailleuses du sexe sont exposées de façon disproportionnée à la violence et à la stigmatisation.

Pouvez-vous expliquer pourquoi certaines lois et politiques en Côte d’Ivoire sont oppressives envers les travailleuses du sexe ?

En Côte d’Ivoire, le code pénal ne mentionne pas de façon claire et précise la répression de l’activité de travail du sexe. Mais il y a certains articles qui sont orientés et condamnent toute forme de racolage, de proxénétisme, d’exploitation des personnes pour le travail du sexe, le local pour l’activité de travail du sexe…

Toutefois, il importe de souligner qu’il y a par moments des descentes des forces de l’ordre sur les sites prostitutionnels ou sur les trottoirs dans la rue. Ces descentes se caractérisent par les arrestations des TS et leur conduite dans les commissariats de police, où elles sont contraintes à payer des fortes sommes d’argent contre leur libération. Elles subissent en détention non seulement des violences et abus sexuels, mais également des préjudices sanitaires.

Existe-t-il des structures de prise en charge de la santé mentale spécifiques pour les travailleuses du sexe ?

Il n’y a pas de structures spécifiques de prise en charge de la santé mentale pour les travailleuses du sexe. Toutefois, il y a des centres d’accueil, d’écoute et d’aide à la prise en charge des populations clés comme les TS.

Ces centres permettent à ces populations de se réinsérer dans la société. Ils les accompagnent dans la prise en charge de leur problème de santé, notamment la prise en charge et le sevrage des addictions aux substances psychoactives. En cas de nécessité, un psychologue est disponible pour leur prise en charge.

En outre, pour ceux ou celles qui ont une addiction à la drogue, il y a un projet pilote qui offre de la méthadone. Ce centre dénommé « CASA » fait une prise en charge holistique, un accompagnement juridique de ces populations en cas de nécessité.

Le point d’orgue pour lutter contre les inégalités est de faire de la sensibilisation envers le personnel médical, les forces de l’ordre, les clients des TS et les associations de TS elles-mêmes.

Qu’est-ce qu’il faudrait, selon vous, pour réduire les inégalités ?

Pour notre part, il faudrait en amont de toutes activités de recherche, impliquer les associations de TS pour tenir compte de leurs besoins réels. En effet, la plupart des projets de recherche se focalise sur leurs questions scientifiques sans toujours tenir compte des besoins fondamentaux de la population ciblée. En plaçant les TS au cœur de notre objet de recherche, on facilite leur entière participation et collaboration, et ainsi leur accès aux services de santé.

Le point d’orgue pour lutter contre les inégalités est de faire de la sensibilisation envers le personnel médical, les forces de l’ordre, les clients des TS et les associations de TS elles-mêmes.

La criminalisation du travail du sexe est un des facteurs structurels responsables de la vulnérabilité des TS. De nombreux travaux se sont intéressés à la relation entre les lois qui encadrent le travail du sexe et leur impact sur la transmission du VIH. Ces études ont montré la réduction des nouvelles infections au VIH.

Il faudrait donc que les lois ivoiriennes puissent encadrer le travail du sexe afin d’éviter les abus, les violences subies par les TS, les répressions par les forces de l’ordre. En effet, la décriminalisation du travail du sexe favoriserait une baisse de la violence, du harcèlement policier et de la transmission du VIH et permettrait aux TS de travailler dans des conditions moins dangereuses. Par ce biais, elle permettrait de ralentir l’épidémie du VIH – ponctuelle et globale – de façon dramatique et de prévenir les nouvelles infections à VIH.

Œuvrons toutes et tous, pour une bonne santé des populations marginalisées et stigmatisées comme les travailleuses du sexe, pour leur bien-être.

Contact presse

Département de communication et d’information scientifique de l’ANRS : information@anrs.fr