Dans une tribune au « Monde » publiée le 15 février 2025, un collectif de chercheurs, de médecins, de représentants d’associations et les représentants de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes s’inquiètent des premières mesures de l’administration Trump, et rappellent que la coopération internationale est vitale pour affronter les défis de santé auxquels le monde doit faire face.
Dernière mise à jour le 28 février 2025
Les informations en provenance des États-Unis suscitent une inquiétude croissante au sein de la communauté scientifique et médicale internationale. Après le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le gel des budgets des grandes institutions américaines de santé publique et de recherche, la suspension des programmes d’aide au développement de l’USAID (United States Agency for International Development), et les restrictions imposées au programme Pepfar (President’s Emergency Plan for AIDS Relief), font peser de lourdes menaces sur la coopération entre chercheurs et sur le progrès scientifique. À cela s’ajoutent les censures qui frappent les principes fondamentaux d’équité, de diversité et d’inclusion, ou des thématiques cruciales telles que la crise climatique, désormais expurgées des textes officiels américains.
Dans ce contexte, la communauté scientifique de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes (Agence nationale de recherches sur le sida et les maladies infectieuses émergentes, ANRS MIE), agence de l’Inserm et institution clé dans la lutte contre les maladies infectieuses endémiques et émergentes, exprime sa solidarité avec ses homologues américains et avec tous les chercheurs concernés. Elle fait part également de ses fortes inquiétudes quant aux conséquences probables de cette situation inédite sur la santé mondiale.
La collaboration internationale est, comme le souligne Peter Agre (prix Nobel de chimie, 2003), essentielle non seulement pour le progrès scientifique, mais aussi pour l’avenir de l’humanité. Aucun pays, aussi puissant soit-il, ne peut relever seul les défis mondiaux d’aujourd’hui. Ces collaborations ont permis des résultats considérables aussi bien dans l’acquisition de nouvelles connaissances que de l’amélioration de la santé publique, dans les pays les plus riches comme dans ceux à ressources faibles ou intermédiaires en particulier dans le domaine du VIH/sida et des maladies transmissibles.
Les États-Unis sont des acteurs majeurs du financement de la recherche scientifique (le NIH – institution gouvernementale des États-Unis en charge de la recherche biomédicale – disposait de 3,3 milliards US dollars en 2023 pour la seule thématique du VIH/sida) et sont parmi les partenaires privilégiés de la France. En conjuguant leurs forces, chercheurs américains et équipes françaises de l’ANRS MIE ont permis des avancées majeures, comme la démonstration de l’efficacité de la prévention par les antirétroviraux de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, celle des traitements anti-tuberculeux en particulier pour les patients vivant avec le VIH, ou récemment, celle de la prophylaxie préexposition (PrEP) pour prévenir la contamination par le VIH. Grâce à ces résultats, la prévention de la transmission de la mère à l’enfant du VIH est devenue la norme internationale, les recommandations de l’OMS concernant le traitement de la tuberculose ont été adaptées et de nombreux pays ont maintenant intégré la PrEP dans leurs stratégies de prévention. La collaboration entre le NIH et l’Inserm a aussi permis de démontrer l’efficacité de vaccins contre la maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest en pleine crise d’urgence sanitaire.
Les crises épidémiques récentes, telles que la Covid-19, nous rappellent que la science, l’innovation et la coopération sont les meilleurs atouts pour sauver des vies. Aujourd’hui, des partenariats étroits entre scientifiques américains, français et d’autres pays contribuent à la préparation et à la réponse à l’émergence de nouvelles pandémies. Les décisions prises dans les dernières semaines aux États-Unis compromettent sérieusement ces liens scientifiques alors que la coopération internationale est vitale face à la menace d’émergence de maladies infectieuses sur tous les continents, y compris aux États-Unis. Les risques actuels concernent la circulation de pathogènes tels que le virus H5N1, responsable de l’épidémie de grippe aux États-Unis, le mpox ou Ebola ; ils nécessitent une surveillance rigoureuse et une transparence totale pour anticiper sur une éventuelle diffusion internationale.
Les défis de santé, en particulier les pandémies, auquel le monde sera confronté appellent une réponse mondiale coordonnée, dans laquelle le rôle des États-Unis est très important. La recherche scientifique est un bien commun qui transcende les frontières politiques. L’interruption des échanges entre chercheurs, les restrictions sur les financements et l’exclusion de certaines communautés scientifique mais aussi représentant la société civile, auront sans aucun doute des conséquences majeurs sur la santé publique mondiale.
Au-delà du choc provoqué par les décisions du gouvernement américain, il est impératif de repenser le cadre de la coopération internationale en santé mondiale. Cette crise met en lumière la dépendance des pays à ressources faibles et intermédiaires vis-à-vis des États-Unis. L’enjeu du renforcement de leur autonomie est d’ores et déjà posé. L’Europe, dans ce contexte, a un rôle essentiel à jouer, en s’engageant pleinement pour assurer son leadership et forger les alliances intercontinentales nécessaires.
Accéder à la tribune dans Le Monde.
Retrouvez ci-dessous la liste complète des signataires de la tribune publiée dans Le Monde :
*Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) et les maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE)