Prix de thèse "Virus émergents" 2022 remis à Benoît Arragain et Paul Bastard

Les deux prix de thèse de l'ANRS | Maladies infectieuses émergentes pour la recherche fondamentale sur les virus émergents et ré-émergents ont été remis, conjointement avec la Société française de virologie, à Benoît Arragain et Paul Bastard, lors des Journées francophones de virologie, le 12 avril 2022 à Strasbourg.

Publié le 12 avril 2022

Remise du prix à Benoît Arragain

Le prix de thèse l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes pour la recherche fondamentale sur les virus émergents et ré-émergents vise à récompenser chaque année deux jeunes scientifiques dont les travaux de recherche dans le domaine des sciences fondamentales sur des virus émergents ont marqué le domaine par leur innovation, leur originalité et leur grande qualité.

Les lauréats 2022 sont :

Benoît Arragain, pour sa thèse « Analyse structurale et fonctionnelle de la réplication et de la transcription des Bunyavirales », menée sous la direction de Schoehn Guy et Malet Hélène, au sein de l’Institut de biologie structurale de Grenoble (IBS).

Paul Bastard, pour sa thèse « De l’étude des défauts génétiques innés de l’immunité de l’interféron de type I à leur phénocopie auto-immune », menée sous la direction de Jean-Laurent Casanova, au sein de l’équipe « Génétique humaine des maladies infectieuses » de l’Institut Imagine à Paris.

La remise des prix et la présentation des deux sujets par les lauréats est à revoir en replay sur le site de la SFV

Ils répondent à nos questions :

Pourquoi vous êtes-vous orienté vers la recherche ?

Benoît Arragain : Tout le monde a une part de « chercheur » en lui, c’est-à-dire la capacité à être curieux du monde qui l’entoure et de son fonctionnement. Je me suis directement lancé dans des études de biologie après le baccalauréat. J’ai continué jusqu’en master dans lequel j’ai eu des enseignements en virologie et en microscopie électronique, deux domaines complémentaires pour lesquels j’ai immédiatement montré un vif intérêt. J’ai ensuite eu la chance de pouvoir continuer en thèse et de mettre les deux pieds dans le monde de la recherche, sous la direction de Guy Schoehn et Hélène Malet au sein du groupe de microscopie électronique et méthodes (MEM) à l’Institut de biologie structurale, sur un sujet qui combine virologie et microscopie électronique.

Paul Bastard : Pendant mes études de médecine, je me suis assez vite demandé pourquoi certaines personnes étaient malades et pas d’autres. C’est encore plus flagrant en pédiatrie, où la plupart des enfants avec une infection sévère n’ont aucun facteur de risque connu. Je souhaitais donc pouvoir allier la pratique clinique (actuellement en pédiatrie) et la recherche sur les maladies que l’on comprenait mal ou pas du tout.

 

Sur quel sujet porte votre travail de thèse ?

Benoît Arragain : Il portait sur les bunyavirus, qui appartiennent à l’ordre des Bunyavirales, l’un des plus grands groupes de virus à ARN existant. Considérés comme des virus émergents, on n’entend parler d’eux qu’occasionnellement en Europe même s’ils sont répandus tout autour du globe et peuvent, pour certains, occasionner chez l’homme de graves maladies comme des fièvres hémorragiques. D’autres peuvent également infecter les plantes et ravager des récoltes. L’étude de la réplication des bunyavirus a été initiée par le groupe de Stephen Cusack (impliquant notamment Hélène Malet et Juan Reguera) à l’EMBL Grenoble il y a plusieurs années. Hélène Malet poursuit désormais ce projet au sein du groupe MEM à l’IBS, ce qui m’a permis de découvrir ces virus et d’effectuer ma thèse sur cette thématique.

Paul Bastard : Je travaillais dans le laboratoire de Jean-Laurent Casanova sur la prédisposition génétique aux infections sévères à l’herpès, notamment au niveau du cerveau. Puis, quand la pandémie de Covid-19 est arrivée, je suis retourné à l’hôpital quelques semaines avant de travailler à nouveau au laboratoire pour essayer de comprendre pourquoi certaines personnes allaient en réanimation à cause de ce nouveau virus. En étudiant d’abord les causes génétiques puis des causes immunologiques, nous avons pu expliquer jusqu’à 20 % des formes sévères de Covid-19.

 

Quels sont les grands défis à relever selon vous dans vos domaines respectifs ?

Benoît Arragain : Les grands défis à relever dans l’étude des bunyavirus, et de manière plus générale en ce qui concerne les virus à ARN négatif segmenté, consistent en une meilleure compréhension des interactions qui peuvent exister entre les protéines virales et les cofacteurs cellulaires. Peu de choses sont également connues en ce qui concerne le fonctionnement des polymérases virales dans le contexte des particules ribonucléoprotéiques, l’unité fonctionnelle des virus qui leur permet de répliquer et transcrire leur génome. Les réponses à ces questions nous apporteraient in fine de nouvelles connaissances sur le mode de fonctionnement de ces virus pouvant nous permettre d’envisager le développement de molécules antivirales à large spectre capables de bloquer, ou tout du moins limiter, l’infection virale.

Paul Bastard : C’est une grande question ! La recherche des causes d’infections sévères peut s’appliquer à pratiquement toutes les infections. Les causes génétiques sont logiquement plus fréquentes chez les enfants et chez les jeunes adultes, mais nous avons identifié des auto-anticorps qui bloquaient la réponse immunitaire aux virus chez des personnes plus âgées. La recherche d’autres causes pour expliquer des formes sévères d’infection, même chez des personnes âgées, est donc possible et très importante pour pouvoir améliorer leur pronostic et les traitements.

 

Quel choix feriez-vous pour améliorer le monde de la recherche ?

Benoît Arragain : Il me semble indispensable de poursuivre et de promouvoir les travaux de recherche fondamentale sur tout type de virus. Comme nous l’a récemment prouvé la pandémie mondiale induite par le SARS-CoV-2, c’est essentiel pour notre société afin de mieux se prémunir contre de potentielles menaces sanitaires à venir. De manière générale, une meilleure sensibilisation du grand public au travail de recherche fondamentale réalisé, quel que soit le domaine, est nécessaire. Il faudrait également promouvoir le travail collaboratif au niveau national et international, au niveau de la recherche, mais également au niveau des centres d’instrumentations et plateformes utilisés par les chercheurs. Une augmentation du nombre de postes scientifiques permanents ouverts, qu’ils soient techniciens, chercheurs ou ingénieurs, permettrait d’éviter la perte de personnes compétentes qui se voient ôter la possibilité de poursuivre leur travail et/ou se détournent de la recherche académique. Une revalorisation des grilles salariales du personnel de recherche (notamment des étudiants en thèse et post-doctorants) et le rééquilibrage entre les différentes institutions de rattachement pourraient réduire les inégalités encore trop présentes. Le système de financement de la recherche française devrait être modifié afin de permettre aux chercheurs de réduire leur charge de travail administratif. Il faudrait également un investissement plus important dans l’achat d’instruments de pointe au niveau national. Enfin, une modification en profondeur du système de publication des travaux de recherche et son accès au public.

Paul Bastard : La Covid-19 nous a montré que la mise à disposition de davantage de financement était possible à l’hôpital comme en recherche. Un meilleur financement du monde de la recherche en France aidera sûrement. Une meilleure accessibilité des patients aux nouvelles connaissances et aux thérapeutiques découlant de ces connaissances, en parallèle de l’accélération de la recherche, devrait aussi certainement participer à cette amélioration.