Prix de thèse « Virus émergents » 2023 ANRS/SFV remis à Orianne Constant, Ludivine Grzelak et Antoine Nkuba Ndaye

Publié le 17 mai 2023

Trois prix de thèse « ANRS | Maladies infectieuses émergentes / Société française de virologie » pour la recherche fondamentale sur les virus émergents ont été remis lors des XXVes journées francophones de virologie, les 17 et 18 avril 2023 à Paris.

Ce prix récompense cette année trois jeunes scientifiques dont les travaux de recherche dans le domaine des sciences fondamentales sur des virus émergents ont été marquants par leur innovation, leur originalité et leur qualité.

Le prix leur a été remis lors des XXVes journées francophones de virologie. Les trois lauréats ont présenté leurs travaux devant les chercheurs présents lors de l’événement et ont reçu un chèque de 1 000 euros.

Les lauréats 2023 sont :

Ils répondent à vous questions

Quel est votre parcours ?

Orianne Constant : J’ai effectué mon parcours universitaire en pharmacie, ce qui m’a donné l’occasion d’avoir une formation en santé, mais aussi en biologie, et m’a permis de réaliser des stages en laboratoire où est née l’envie de travailler dans la recherche fondamentale. Pour moi, cette recherche est indispensable à la compréhension des maladies et à la réalisation des futurs traitements et elle est très liée à mon parcours de pharmacienne. J’ai donc décidé d’effectuer une thèse en neurovirologie pour étudier l’infection de la barrière hémato-encéphalique par deux arbovirus Usutu (USUV) et West-Nile (WNV).
Je suis actuellement en post-doctorat à l’université de Stanford afin d’approfondir mes connaissances et les techniques utilisées pour étudier certains arbovirus, je travaille dans une équipe s’intéressant au virus de la dengue. En utilisant des techniques innovantes, notamment de séquençage en cellule unique, le but est de déterminer les causes des différences de sévérité à la suite de l’infection au sein du système immunitaire humain.
J’aimerais ensuite continuer dans la recherche fondamentale et académique et pouvoir mener des projets de recherche sur la pathogénèse liée aux infections par des arbovirus et notamment approfondir les recherches sur le rôle du système immunitaire humain dans ces infections. Ces travaux permettraient de développer des outils nécessaires à la prise en charge de ces pathologies qui deviennent de plus en plus importantes, par exemple pour leur diagnostic.

Ludivine Grzelak : Je suis née et j’ai grandi à Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Pendant mon année de première scientifique, j’ai choisi de m’orienter vers la recherche en biologie. Après mon baccalauréat, j’ai quitté mon île natale pour venir faire une classe préparatoire « biologie chimie physique et sciences de la Terre » au lycée Henri IV à Paris. Cela m’a permis d’entrer sur concours à l’École normale supérieure Paris-Saclay, où j’ai obtenu un master 2 de recherche. C’est durant ma première année à l’École que j’ai commencé à étudier les virus et me suis prise d’une passion pour ce domaine. J’ai ainsi choisi de faire 9 mois de stage sur le virus de la grippe au Peter Doherty Institute for Infection and Immunity à Melbourne, en Australie, entre ma première et ma deuxième année de master. J’ai ensuite effectué mon master 2 de virologie fondamentale de Sorbonne Université à l’Institut Pasteur et le stage pour celui-ci dans l’équipe du professeur Olivier Schwartz. J’ai finalement obtenu un contrat doctoral spécifique pour normaliens pour réaliser ma thèse dans cette même équipe.
La décision de faire une thèse a ainsi été évidente pour moi puisque c’était l’aboutissement de mes choix d’études supérieures. Je souhaite contribuer à l’avancée des connaissances en virologie pour nous permettre, à terme, d’améliorer les traitements ou de prévenir les maladies. J’espère ainsi continuer mon parcours professionnel dans la recherche académique et c’est dans cette optique que je suis aujourd’hui chercheuse post-doctorale dans le laboratoire du professeur Melanie Ott au Gladstone Institutes, à l’université de Californie de San Francisco.

Antoine Nkuba Ndaye : Je suis médecin et j’ai fait une spécialisation en biologie médicale à l’université de Kinshasa. J’ai ensuite obtenu une maitrise en santé publique à Yonsei University à Séoul, en Corée du Sud. Actuellement, j’ai un contrat de post-doctorat à l’unité TRANSVIHMI de l’IRD. Très petit, je disais à mon père que j’allais découvrir le traitement du VIH et, très rapidement après mes études de médecine, j’ai vite compris que la recherche était réellement ma passion. Enfin, je me vois continuer ma vie professionnelle comme chercheur et enseignant à l’université.

Quels sont les résultats obtenus pendant votre thèse dont vous êtes le plus fier ?

Orianne Constant : Tout le travail réalisé a été rendu possible grâce à des collaborations et à l’implication de différentes personnes, je suis très fière d’avoir pu contribuer à ce travail d’équipe et d’avoir été entourée par des personnes aussi passionnées. Le projet portant sur la surveillance de la circulation des deux arbovirus dans le sud de la France par une approche de « Santé Globale » a nécessité le travail de nombreux partenaires à différents niveaux, de la collecte des échantillons à l’analyse des tests de séroneutralisation. Je suis fière d’avoir pu participer à ce projet qui a souligné l’importance de l’étude de ces virus en révélant leur circulation active dans la région étudiée et la susceptibilité de certaines espèces.
Le projet visant à caractériser la virulence d’USUV et WNV sur la barrière hémato-encéphalique a révélé quelques différences inédites comme la capacité de WNV à perturber la perméabilité de la barrière, et l’infection de cellules dendritiques par USUV pouvant entraîner un recrutement accru par la barrière hémato-encéphalique. A la suite de l’infection par ces deux arbovirus, la forte réponse inflammatoire et la capacité de recrutement des cellules immunes peuvent assurer une neuroinflammation importante dans la pathogénèse. Je pense que ces résultats ouvrent la voie à d’autres projets de recherches, j’espère ainsi que le virus Usutu pourra être mieux caractérisé.

Ludivine Grzelak : J’ai eu la chance durant ma thèse de travailler sur des prélèvements de donneurs et de patients provenant de plusieurs cohortes. Cela m’a permis de m’intéresser aux variations interindividuelles des niveaux d’anticorps selon les caractéristiques des donneurs. Une partie de mon travail de thèse s’est ainsi concentrée sur l’évolution des niveaux d’anticorps anti-SARS-CoV-2 post-infection et nous avons pu mettre en évidence des différences associées au sexe des donneurs. Nous avons en effet observé un déclin des niveaux d’anticorps plus rapide chez les hommes que chez les femmes. Je suis fière d’avoir contribué à décrire certaines différences liées au sexe, qui sont encore trop souvent sous-estimées dans les études même si ces questions sont de plus en plus soulevées.

Antoine Nkuba Ndaye : Mes travaux de thèse ont permis de décrire pour la première fois la forme paucisymptomatique de la maladie à virus Ebola chez des personnes suspectes d’être malades mais qui étaient déchargées comme négatifs après deux tests moléculaires. Nous avons aussi démontré pour la première fois que les anticorps monoclonaux utilisés lors de la 10e épidémie de la maladie à virus Ebola en RDC auraient un impact négatif sur la production des anticorps et leur persistance dans le temps chez des survivants. Alors que les données officielles montraient une faible prévalence du Covid-19 en RDC, nous avons développé et utilisé un test sérologique pour la détection des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 qui nous a permis de rapporter une diffusion très large du virus en population générale à Kinshasa, une mégalopole de plus de 12 millions d’habitants.

Que proposeriez-vous pour poursuivre vos travaux ?

Orianne Constant : Plusieurs études peuvent être réalisées dans la continuité de ces travaux. Concernant les interactions virales avec la barrière hémato-encéphalique, des travaux supplémentaires sont nécessaires afin de comprendre les mécanismes à l’origine des différences observées lors l’infection par Usutu et West-Nile des cellules de la barrière hémato-encéphalique et des cellules immunes. Pour cela, des études fonctionnelles et moléculaires seraient nécessaires.
La présence de marqueurs d’atteintes neurologiques dans les sérums de patients infectés par le virus West-Nile laisse aussi de nombreuses pistes à explorer afin de comprendre quel est le rôle de ces marqueurs, pourquoi sont-ils dans le sérum, quel est l’impact de leur sécrétion sur les fonctions neurologiques. Un chercheur post-doctorant a rejoint le laboratoire à la fin de ma thèse et son projet de recherche porte sur ces thématiques dans le cadre de différentes infections arbovirales.
Sur le plan de la santé globale, des études sont poursuivies afin d’améliorer la surveillance de la circulation des arbovirus en France, notamment par le développement de nouveaux outils de détection chez les vecteurs moustiques ou dans l’environnement.

Ludivine Grzelak : Mes travaux ont été poursuivis dans le laboratoire avec des études approfondies des capacités de neutralisation des anticorps anti-SARS-CoV-2 contre les différents variants du virus dans des populations immunisées et parfois à risques (personnes immunodéprimées notamment). Les autres fonctions effectrices des anticorps produits après vaccination pourraient également être étudiées plus en détails afin de mettre en évidence des corrélats de protection au-delà de la neutralisation. Celles des anticorps monoclonaux utilisés en clinique ont d’ailleurs été décrites par mon encadrant, le docteur Timothée Bruel.

Antoine Nkuba Ndaye : J’aimerais ici me focaliser sur mes recherches sur le virus Ebola. En effet, il s’avère très important de continuer des recherches sur la réponse immunitaire contre le virus Ebola chez des personnes traitées avec des anticorps monoclonaux. Pour parachever ces travaux, nous envisageons dans le cadre d’un consortium d’étudier également la réponse immunitaire cellulaire pour évaluer l’impact de ces traitements sur les lymphocytes T.

Pourquoi avoir choisi de travailler sur ces virus ? En quoi vos travaux représentent une avancée dans leur domaine ?

Orianne Constant : Les virus Usutu et West-Nile sont deux arbovirus transmis par un vecteur moustique et qui ont émergés en Europe avant de devenir endémiques dans nos régions. Chaque année, des cas d’infections par ces virus sont recensés, notamment dans le sud de la France. Or, certaines infections peuvent entrainer le développement de troubles neurologiques, et il a été montré notamment pour le virus West-Nile qu’une transmission lors de transfusion sanguine pouvait avoir lieu. Les personnes recevant ces transfusions sont aussi plus susceptibles à l’infection car elles peuvent être immunodéprimées. Le diagnostic est donc particulièrement important pour la prise en charge de ces pathologies et la compréhension des mécanismes conduisant aux troubles neurologiques est aussi importante, afin de permettre le développement de traitement spécifique par exemple.

Ludivine Grzelak : Lorsque le virus SARS-CoV-2 est apparu et s’est propagé dans le monde si rapidement, il était urgent de l’étudier pour acquérir le maximum de connaissances à son sujet. Au laboratoire, nous avons donc tous choisi concentrer nos recherches sur ce virus et je me suis attelée à la mise au point d’un test de détection des anticorps anti-Spike du SARS-CoV-2. Ce test particulièrement sensible nous a permis d’identifier les personnes convalescentes alors que les tests de détection viraux par RT-PCR ou tests antigéniques n’étaient pas encore utilisés systématiquement. Mes travaux ont ainsi contribué à déterminer la circulation du virus dans les premières régions françaises touchées par la pandémie et ont pu aider à adapter les mesures prises pour contrôler cette circulation. De plus, j’ai également étudié le déclin de la réponse anticorps après l’infection ou la vaccination, ce qui a pu apporter des arguments pour adapter les schémas vaccinaux. Mes travaux ont, pour certains, été publiés tôt durant la pandémie, ce qui a permis à d’autres laboratoires d’utiliser notre test de détection et a pu également servir de base de réflexion pour approfondir les recherches sur la réponse anticorps anti-SARS-CoV-2.

Antoine Nkuba Ndaye : Ecrit en 2019, mon projet de thèse était axé sur le virus Ebola. Cependant, la crise mondiale liée à la Covid-19 avait eu un impact négatif sur l’avancement des travaux de recherche notamment à cause des restrictions de voyage. Plutôt que de me décourager, j’ai donc considéré l’arrivée du nouveau virus comme une autre opportunité de recherche. En effet, nous avons la primauté de découverte pour la plupart de résultats contenus dans nos travaux de thèse. De plus, les résultats obtenus ont pour la plupart eu un impact immédiat sur le plan de santé publique. D’une part, les résultats sur la Covid-19 ont permis aux autorités sanitaires et administratives à adapter les mesures de luttes en fonction de la situation réelle de diffusion du virus dans la communauté, et c’était d’autant plus nécessaire qu’il y’avait pénurie de vaccins. D’autres part, les résultats obtenus sur le virus Ebola ont montré la nécessité de renforcer la surveillance clinique et biologique chez des survivants de la maladie à virus Ebola afin de prévenir la rechute et/ou la réinfection. D’autres mesures telles que la vaccination des survivants et l’utilisation d’un antiviral pour augmenter la clairance virale chez des porteurs sont en évaluation.

En quoi vos travaux participent à la préparation de la réponse aux maladies infectieuses émergentes ?

Orianne Constant : Mes travaux de thèse ont permis d’apporter de nombreuses connaissances concernant les mécanismes d’infection du système nerveux central par deux arbovirus circulant en Europe. Ils enrichissent le socle d’informations sur ces virus, qui permettra par la suite d’étudier de la même manière de nouveaux virus émergents afin de comprendre rapidement comment diminuer le développement de tels troubles neurologiques. La réalisation des études montrant la circulation des virus et l’importance de leur surveillance par des approches de « Santé Globale » souligne aussi la nécessité d’avoir des collaborations efficaces et des techniques adaptées afin de mettre en place une détection et une réponse rapide face aux maladies infectieuses émergents.

Ludivine Grzelak : Les anticorps jouent un rôle essentiel dans la réponse immunitaire et notamment dans la réponse antivirale. Ils peuvent permettre d’inhiber complètement l’infection lorsqu’ils sont neutralisants et présents dans les muqueuses ou d’éliminer des cellules infectées si le virus parvient à pénétrer dans l’organisme. Ils appartiennent à l’arsenal de la mémoire immunitaire après une infection ou une vaccination. Mieux comprendre les anticorps, leurs fonctions et ce qui en fait des acteurs plus ou moins efficaces dans cette lutte antivirale est donc essentiel pour nous préparer à répondre aux maladies infectieuses émergentes, que ce soit d’un point de vue thérapeutique, avec des anticorps monoclonaux, ou préventif, avec la mise au point de vaccins. De plus, les techniques développées pendant ma thèse sont transposables et peuvent être adaptées rapidement pour faire face à de nouveaux virus émergents.

Antoine Nkuba Ndaye : L’une des mesures de lutte contre les émergences consiste à comprendre la dynamique du pathogène et cela peut se faire, entre autres, par l’utilisation de la sérologie. Dans ces travaux thèse, la sérologie a été utilisée pour caractériser la réponse immunitaire contre Ebola et SARS-CoV-2 et en évaluer les déterminants. Les résultats obtenus ont permis de prendre des mesures de lutte appropriées

Les lauréat.e.s