Le chikungunya est une maladie infectieuse provoquée par un arbovirus, le virus du chikungunya. Elle peut désormais se rencontrer dans des régions non tropicales, y compris en Europe.
Dernière mise à jour le 10 février 2025
Cette maladie d’origine africaine, dont le nom signifie « celui qui marche courbé », occasionne des douleurs articulaires et musculaires. Identifié pour la première fois en Tanzanie en 1952, le virus chikungunya a depuis provoqué de nombreuses épidémies dans plus de 110 pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques.1
Les premières flambées urbaines ont été signalées pour la première fois en Thaïlande en 1967 et en Inde dans les années 1970.1 Depuis 2004, avec l’expansion des moustiques Aedes albopictus (ou moustique tigre) vecteurs de la maladie, les flambées sont devenues plus fréquentes et plus étendues.1 Entre le début de l’année 2024 et le 30 novembre, environ 480 000 cas ont été confirmés, majoritairement en Amérique du Sud, et plus particulièrement au Brésil qui a enregistré 203 décès.2
Entre août 2024 et le 14 janvier 2025, 192 cas autochtones de chikungunya ont été confirmés à La Réunion.3 Originaire d’Asie du sud-est, le moustique tigre a atteint l’Europe. Après avoir été isolé en 1979 en Albanie et en 1990 en Italie, il s’est désormais implanté en 2024 dans le sud de la France et s’étend progressivement depuis.4
On trouve Aedes albopictus sur l’île de la Réunion et dans 78 départements métropolitains depuis le 1er janvier 2024.5
Le virus du chikungunya (CHIKV) est un virus à ARN appartenant à la famille des Togaviridae et au genre Alphavirus. On dénombre actuellement quatre lignages évolutifs : Ouest-Africain, asiatique, Est-Centre-Sud-Africain et lignage de l’Océan indien.6
La transmission du chikungunya à l’être humain se fait principalement par des moustiques du genre Aedes, d’espèces différentes selon la zone considérée : Aedes furcifer et Aedes africanus en Afrique, selon un cycle sylvatique et rural ; Aedes aegypti et Aedes albopictus en Asie, selon un cycle plutôt urbain.7 Toutes les régions où des populations d’Aedes aegypti ou d’Aedes albopictus sont établies connaissent désormais une transmission locale par les moustiques, y compris en Europe.1
Aedes aegypti et Aedes albopictus peuvent également transmettre le virus de la dengue et le virus Zika.1 Les femelles pondent leurs œufs dans des gîtes où la présence d’eau stagnante est nécessaire au développement larvaire.4
Après qu’un moustique femelle se soit nourri du sang d’une personne infectée, nécessaire à la maturation des œufs, le virus se multiplie dans le moustique durant environ 10 jours.4 À l’issue de ces 10 jours, le moustique infectieux peut transmettre le virus et infecter une nouvelle personne.4
La transmission verticale de la mère à l’enfant au deuxième trimestre de la grossesse a également été documentée, ainsi que la transmission intra-partum lorsque la mère était virémique au moment de l’accouchement.4,8
La transmission peut se faire exceptionnellement par contact avec du sang infecté notamment chez le personnel de laboratoire et de santé, mais aucun cas de transmission par transfusion sanguine n’a été rapporté à ce jour.8
La phase virémique commence un à deux jours environ avant le début des signes cliniques et dure jusqu’à sept jours après.4
Le diagnostic repose en priorité sur la PCR qui doit être effectuée le plus rapidement possible après l’apparition des symptômes (virémie +/-8 jours). Pour les demandes plus tardives, le diagnostic présomptif peut se faire en contexte épidémique sur la présence d’immunoglobulines M (IgM) et/ou la détection d’une séroconversion (apparition d’IgG) entre deux prélèvements successifs.9
L’infection par le CHIKV est le plus souvent symptomatique dans 80 % des cas. Elle suit généralement une évolution en trois stades cliniques : le stade aigu qui s’étend de J1 à J21, le stade post-aigu, de J21 à 3 mois, et le stade chronique qui va au-delà de 3 mois.10 Les stades post-aigu et chronique ne sont pas observés chez tous les patients.10
Les premiers symptômes peuvent être aspécifiques : fièvre, céphalées, éruptions cutanées et myalgies. Comme ces symptômes se superposent à d’autres infections, notamment celles dues au virus de la dengue et au virus Zika, les cas peuvent donner lieu à un diagnostic erroné.1
Le stade post-aigu, dominé par la persistance de douleurs articulaires, concerne plus de la moitié des patients, avec une incidence accrue après 40 ans et chez les femmes.10 Les personnes à risque de formes graves sont celles présentant des comorbidités, les femmes enceintes, les personnes immunodéprimées et les individus aux âges extrêmes de la vie.
Les formes chroniques, dont l’impact est important sur la qualité de vie, concernent 20 à 60 % des patients selon le lignage viral et la qualité des soins reçus.11 Une association avec un syndrome de Guillain-Barré a également été décrite.12
Le taux de mortalité associé à la maladie varie de 0,5 % à 1,3 %.
Après la guérison, l’immunité acquise contre de futures infections paraît durable.1,10
Il n’existe actuellement aucun traitement spécifique approuvé contre le CHIKV. Le traitement repose sur un traitement des symptômes et des complications rhumatologiques. La douleur et la fièvre sont traités avec des antalgiques .4, 13 La prise en charge des patients repose dans le monde entier sur des recommandations françaises édictées en 2014 sous la coordination du Pr Fabrice Simon à la demande de la Direction Générale de la Santé (DGS).13
En plus du repos, les patients doivent s’hydrater régulièrement pour lutter contre la déshydratation.1,10,13
L’évolution peut être rapidement favorable, si le malade répond bien au traitement symptomatique.14
Les recherches récentes sur les agents antiviraux contre le CHIKV explorent diverses approches, parmi lesquelles celle des inhibiteurs à petites molécules et des anticorps monoclonaux qui ont des effets antiviraux en ciblant les protéines non structurales et structurales du virus. Au cours de la dernière décennie, plus de 30 agents potentiels ont été brevetés, mais aucun n’a encore achevé son développement ni atteint le marché.15
De nombreux traitements actuellement en développement ont néanmoins montré des résultats encourageants in vitro.16-20 L’ethyl palmitate,16 l’acide lobarique17 et le 8-bromobaicalein18 ont montré une réduction de la réplication virale sur cellules Vero, de même, que le sofosbuvir, un anti-hépatite C,19 le favipiravir (un anti-grippe) et les ARN interférents (siRNA)* Chik-1 et Chik-5.20
Les mécanismes d’échappement du virus pourraient être affaiblis par l’utilisation combinée d’antiviraux.21 Cependant, de manière plus originale, un groupe expert mondialement reconnu vient de proposer une stratégie d’association potentialisatrice in vitro et in vivo de plusieurs molécules déjà utilisées en clinique, et qui individuellement ont des effets antiviraux limités.22
L’EVT894, un anticorps monoclonal humain prometteur qui cible une protéine virale, a montré une activité neutralisante puissante dans des modèles in vitro et in vivo. Une étude de phase I, randomisée, en double aveugle, d’escalade à dose unique d’EVT894 vs placebo chez des volontaires sains, est actuellement en cours et financée par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID).23
Des essais supplémentaires et des études cliniques sont nécessaires avant toute application thérapeutique.
Le meilleur moyen de lutte contre le chinkungunya demeure la prévention.1 Pour prévenir et gérer les risques liés aux maladies vectorielles, les autorités ont mis en place des actions de surveillance et de lutte anti-vectorielle.5
La surveillance entomologique « active » est réalisée par les opérateurs chargés de la lutte anti-vectorielle. En 2018, un total de 4 006 pièges pondoirs (seau noir contenant de l’eau, un support de ponte et un larvicide) ont été répartis en France métropolitaine.5
Depuis 2014, cette surveillance est complétée par une surveillance entomologique « passive » à laquelle tout le monde peut participer pour signaler la présence du moustique tigre.5 Le signalement permet de mieux connaître l’implantation du moustique et contribue à définir une lutte anti-vectorielle efficace.
Une surveillance épidémiologique du chikungunya a également été mise en place, laquelle s’inscrit dans les dispositifs de lutte contre les arboviroses.24 Le chikungunya est une maladie à déclaration obligatoire (DO) sur l’ensemble du territoire métropolitain et toute l’année.25 Le document nécessaire à la notification d’un cas est disponible sur Santé publique France.
Les critères de déclaration sont une fièvre (> 38,5°C) d’apparition brutale ainsi que des douleurs articulaires invalidantes et au moins un des critères biologiques suivants : PCR positive OU IgM positive OU séroconversion OU augmentation (x 4) des IgG sur deux prélèvements distants.24
La lutte anti-vectorielle consiste à éliminer les gîtes larvaires et à adopter des protections individuelles telles que l’utilisation de répulsifs cutanés, le port de vêtements longs et amples et l’installation de moustiquaires. La lutte chimique avec l’utilisation de insecticides adulticides reste à ce jour le principal levier pour réduire rapidement les populations de moustiques.26
IXCHIQ est le seul vaccin approuvé contre le chikungunya. Développé par le laboratoire Valneva, il s’agit d’un vaccin vivant atténué administré en une dose unique par voie intramusculaire. Il a reçu une autorisation de mise sur le marché de la FDA (Food and Drug administration) et de l’EMA (European Medicines Agency, Agence européenne des médicaments) pour les personnes non immunodéprimées âgées d’au moins 18 ans, à l’exception des femmes enceintes.
Une étude clinique de phase 3, incluant 4 128 adultes pour évaluer la sécurité du vaccin et 362 pour évaluer son immunogénicité (la capacité du vaccin à susciter une réponse immunitaire), a rapporté un taux de séroconversion* en anticorps neutralisants** de 99 % quatre semaines après la vaccination. Ce taux est resté stable (98 %) jusqu’à 6 mois, indépendamment de l’âge.27
*apparition d’un anticorps spécifique dans le sang après une vaccination.
**anticorps qui défend l’organisme contre un virus.
Un deuxième vaccin sous-unitaire contre CHIKV, développé par Bavarian Nordic, est en cours d’évaluation par la FDA et l’EMA.28
Il a été administré en une dose intramusculaire dans deux essais cliniques de phase 3, menés auprès de 3 254 personnes âgées de 12 à 65 ans. Les résultats ont révélé un taux de séroconversion supérieur à 97 % après trois semaines et de 86 % après six mois (la séroconversion était de 82 % dans une seconde étude incluant 413 participants). La réactogénicité de ce vaccin (sa capacité à produire des réactions secondaires ou des effets indésirables) est plus faible que celle d’IXCHIQ.29 Par ailleurs, plusieurs candidats vaccin contre le chikungunya sont en phase de développement incluant un vaccin inactivé Indien développé sous l’égide du CEPI.30
*apparition d’un anticorps spécifique dans le sang après une vaccination.
**anticorps qui défend l’organisme contre un virus.
Il s’agit d’une priorité identifiée pour laquelle un groupe de travail a été mis en place dès décembre 2024. Dans ce domaine, il est important de réaliser des études portant sur :
Des discussions sont engagées entre l’ANRS MIE et différents acteurs de la recherche depuis début décembre 2024 pour établir un protocole de recherche permettant d’évaluer l’efficacité vaccinale de IXCHIQ en vie réelle. La méthodologie est en cours d’élaboration et dépendra des potentielles recommandations vaccinales émises par la Haute Autorité de Santé (HAS). L’ANRS MIE est en contact avec l’HAS qui est au fait du lancement de ce projet (en articulation étroite avec la DGS).
Un autre domaine de recherche prioritaire concerne l’identification des facteurs et des marqueurs biologiques précoces qui pourraient être prédictifs des formes sévères aiguës et retardées du chikungunya. Au-delà d’éléments déjà identifiés comme l’âge et les comorbidités, des études de cohortes doivent être menées pour déterminer les facteurs démographiques, cliniques, biologiques, virologiques, immunologiques et génétiques associés aux formes graves. L’ANRS MIE est en train de mettre en place une nouvelle cohorte avec les acteurs réunionnais en se basant sur l’expérience passée et l’existence d’une cohorte aux Antilles.
Les recherches sur les antiviraux et anticorps doivent se poursuivre pour valider de nouvelles cibles virales et optimiser les combinaisons thérapeutiques.
La surveillance précoce de la circulation des arbovirus est cruciale pour prévenir les épidémies. Le développement de systèmes intégrés combinant la surveillance entomologique, clinique et environnementale pourrait transformer la gestion des arbovirus. Le segment le plus actif à ce stade concerne la surveillance entomo-virologique, qui a le potentiel de rendre réalisable à très court terme pour le CHIKV un suivi rapproché du secteur entomologique, à ce jour inatteignable par les techniques traditionnelles. Par ailleurs, l’émergence de l’intelligence artificielle offre des perspectives intéressantes à moyen terme pour l’identification des espèces de moustiques, le comptage des populations et l’analyse des données spatiales.
La lutte antivectorielle reste fondamentale pour limiter la transmission des arbovirus. Des techniques innovantes, comme l’utilisation de la bactérie Wolbachia* et les lâchers d’insectes stériles, présentent des perspectives prometteuses et doivent entrer dans des phases d’évaluation d’efficacité concrètes.
Une étude réalisée grâce à une bourse de thèse de Arbo-France financée par ANRS MIE vise à comprendre le lien entre l’exposition aux insecticides et l’efficacité de blocage de la réplication de la dengue induite par Wolbachia chez Aedes aegypti. Des études similaires sont envisagées à La Réunion où Ae. albopictus est le principal vecteur de CHIKV.
* une bactérie naturellement présente chez de nombreux insectes qui empêche CHIKV de se développer dans le vecteur
Placée sous l’égide de l’ANRS MIE, Arbo-France est un réseau français multidisciplinaire et multi-institutionnel de veille, de surveillance et de recherche sur les arboviroses humaines et animales en métropole et les territoires ultra-marins.
Ses principaux objectifs sont :
Diverses approches innovantes sont étudiées pour la surveillance du CHIKV et d’autres arbovirus, avec notamment l’analyse des eaux usées et stagnantes et l’utilisation de l’intelligence artificielle.21, 31 Des travaux de surveillance dans les eaux usées sont menés en Guyane dans le cadre du groupe de travail « Think tank Surveillance innovante des arbovirus » du réseau Arbo-France. Le même groupe de travail propose le déploiement d’une surveillance entomo-virologique innovante reposant sur l’identification moléculaire du virus dans les excrétas des moustiques dans des pièges ad hoc.32 Cette approche a fait ses preuves récemment pour la surveillance du virus du Nil occidental et de la dengue.
L’efficacité, souvent limitée, des insecticides classiques est de plus en plus compromise en raison du peu de molécules disponibles et de la résistance des moustiques. De nouvelles approches innovantes se développent, notamment les techniques des insectes stériles (TIS) et celles de l’insecte incompatible induite (TII) par Wolbachia. Ces approches font l’objet de deux bourses de thèse financée par l’ANRS MIE dans le cadre des actions du réseau Arbo-France.
Forts de leurs expertises complémentaires, le Brésil et la France se mobilisent pour partager leurs connaissances et élaborer des projets communs autour des arboviroses, parmi lesquelles le chikungunya. Les 30 et 31 octobre 2024 s’est tenu à Belém (Brésil) un workshop franco-brésilien sur la thématique des arbovirus organisé par l’Instituto Evandro Chagas (Secrétariat de surveillance sanitaire et environnemental, Ministère de la Santé du Brésil) et l’ANRS Maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE), avec le soutien de l’Ambassade de France au Brésil et en partenariat avec le réseau ArboFrance.
L’ANRS MIE a ouvert une cellule de crise de niveau 1 le 16 janvier 2025 en réponse à l’évolution de la situation du chikungunya à La Réunion.