Interview du Pr Laurent Mandelbrot, Chef du Service de Gynécologie-Obstétrique, gynécologue-obstétricien, AP-HP Hôpital Louis-Mourier, Colombes, France
Dernière mise à jour le 04 décembre 2024
Les nouvelles recommandations « Grossesse et VIH : désir d’enfant, soins de la femme enceinte et prévention de la transmission mère-enfant » ont été mises en ligne le 31 mai 2024. Les travaux sont réalisés sous l’égide de l’ANRS MIE, du CNS, et de la HAS. Lors d’un entretien, le Pr Laurent Mandelbrot, pilote du groupe Grossesse VIH, a présenté les aspects essentiels pour planifier une grossesse, les mesures pour prévenir la transmission mère-enfant du VIH, et les nouvelles perspectives sur l’allaitement pour les femmes vivant avec le VIH.
C’est en effet très important de préparer la grossesse, en insistant sur les points suivants :
Il est recommandé de suivre la bonne prise de traitement et la charge virale tous les mois, pour pouvoir réagir rapidement si jamais celle-ci augmente. On surveille aussi la tolérance au traitement, clinique et biologique.
Le suivi de la grossesse nécessite une bonne coordination entre les professionnels de santé. Beaucoup de femmes vivant avec le VIH ont un suivi en ville avec seulement deux consultations par an. Elles peuvent donc commencer une grossesse sans avoir eu de consultation récente. Il est fréquent que le suivi de la grossesse se fasse dans des établissements qui ne sont pas spécialisés dans le VIH. Il faut des consignes précises : par exemple à quel moment prendre le traitement, éviter les interactions médicamenteuses, s’occuper d’éventuels vomissements, etc. Il est donc important d’assurer une communication fluide entre le médecin traitant, l’obstétricien, l’infectiologue idéalement via des réunions de concertation pluridisciplinaires, et que cela soit bien documenté dans le dossier obstétrical.
Pour les femmes avec une charge virale contrôlée, l’accouchement se déroule comme pour toute autre femme. Toutefois, pour celles avec un contrôle tardif de la charge virale, il faut être plus prudent, et si possible éviter les ruptures prolongées des membranes ou un déclenchement difficile et long. En cas de contrôle virologique insuffisant, des mesures additionnelles sont nécessaires : renforcement du traitement de la mère, perfusion de zidovudine à l’accouchement, et éventuellement une césarienne programmée.
Enfin, un traitement post-exposition pour le nouveau-né reste recommandé, généralement deux semaines de névirapine. Si la charge virale maternelle est élevée, on préconise une trithérapie chez le nouveau-né.
L’ouverture à l’allaitement maternel est le plus gros changement de ces nouvelles recommandations. On sait que l’allaitement peut transmettre le VIH, mais il y a de nombreux bénéfices à l’allaitement maternel. D’après le principe Indétectable = Intransmissible, on considère qu’il est raisonnable d’envisager un allaitement maternel lorsque la charge virale est indétectable pendant toute la grossesse et au moins 6 mois avant l’accouchement. Une discussion approfondie doit avoir lieu entre la mère (et idéalement le couple) et l’équipe médicale, concernant les incertitudes et les mesures à prendre, pour aboutir à une décision partagée.
Le protocole recommandé est :
On insiste beaucoup sur l’importance de fournir à la mère un soutien pour l’allaitement, le calendrier de suivi et des informations précises sur les recours en cas de difficulté ou complication. Les recommandations comportent des fiches pratiques destinées aux mères vivant avec le VIH et les personnes qui les accompagnent.
Les données actuelles sont encore limitées, mais les études existantes, notamment en Afrique, montrent que le risque de transmission est extrêmement faible si la charge virale est indétectable. Une récente étude majeure (étude PROMISE EPI[1]) a confirmé qu’il n’y avait aucun cas de transmission par l’allaitement lorsque la charge virale maternelle était indétectable. En Europe, les données sont encore rares, mais les recommandations évoluent. Par exemple, la Suisse a déjà ouvert prudemment la voie à l’allaitement maternel pour les femmes vivant avec le VIH sous certaines conditions.
En France, l’observatoire LactaVIH (Allaitement et VIH) va suivre tous les cas d’allaitement maternel chez les femmes vivant avec le VIH en France, y compris dans les territoires d’Outre-mer. Son objectif principal est de vérifier l’absence de transmission du VIH de la mère à l’enfant dans des conditions optimales. L’observatoire permettra aussi de suivre le nombre de cas d’allaitement et d’analyser d’éventuels cas de transmissions mère-enfant. L’observatoire est conçu pour être exhaustif, incluant toutes les femmes vivant avec le VIH qui allaitent, à moins qu’elles ne refusent explicitement l’utilisation de leurs données. Le traitement des données sera fait en respectant la confidentialité, conformément aux critères de la CNIL. Le suivi se fera sans aucun examen supplémentaire, prélèvement, analyse de lait ou questionnaire. Les informations recueillies se limiteront aux données cliniques de routine : charge virale maternelle, traitement antirétroviral, et statut VIH de l’enfant. L’observatoire devrait démarrer au plus tard en septembre.
Il existe également en France la cohorte mère-enfant VIROPREG ANRS 00288S dédiée au suivi des infections virales (VIH, hépatites virales, infections virales émergentes) chez les femmes enceintes et leurs enfants. Le suivi est plus approfondi, avec la réalisation d’examens spécifiques et concerne un nombre limité de centres hospitaliers.
[1] Kankasa C, et al. Optimised prevention of postnatal HIV transmission in Zambia and Burkina Faso (PROMISE-EPI): a phase 3, open-label, randomised controlled trial. Lancet. 2024;403(10434):1362-1371.
La stigmatisation du VIH et les conditions de vie précaires représentent les plus grandes difficultés rencontrées par les femmes vivant avec le VIH. La peur de la divulgation de leur statut, le manque de confiance dans leurs relations, compliquent la gestion de leur santé et de celle de leurs enfants. De plus, beaucoup de femmes vivant avec le VIH, notamment celles d’origine subsaharienne, vivent dans la précarité financière ou sont logées loin des centres médicaux, ce qui a un impact sur l’accès aux soins et qui affecte leur capacité à maintenir une bonne santé générale. Des efforts continus sont ainsi nécessaires pour réduire la stigmatisation, améliorer l’accès aux soins et offrir un soutien psychosocial adapté à ces femmes.