Chez certaines personnes vivant avec le VIH (PvVIH), des troubles neurocognitifs (TNC) peuvent survenir alors que la charge virale plasmatique est contrôlée par traitement antirétroviral. Jusqu’à 1/3 des PvVIH sous traitement antirétroviral pourrait souffrir de formes asymptomatiques à modérées de déficits cognitifs. L’étiologie et la pathophysiologie de ces formes neurologiques demeurent mal comprises, elles sont complexes et multifactorielles. Selon une hypothèse prédominante, la neuroinflammation, liée à la neuropathogénicité de protéines du VIH et/ou à des facteurs contributifs indépendants du VIH, tels que des infections cérébrales, pourrait contribuer à ces troubles. Par exemple, des données suggèrent qu’une infection cérébrale persistante par le parasite Toxoplasma gondii est associée à des TNC-VIH plus sévères, mais les mécanismes aggravateurs sont inconnus.
Antagoniste du récepteur CCR5, le maraviroc constitue à la fois un inhibiteur de l’entrée du VIH à tropisme CCR5, et un modulateur de la migration des leucocytes. Certaines études encore controversées ont rapporté un effet bénéfique du maraviroc (en combinaison à un traitement antirétroviral) sur les TNC-VIH. Hors contexte VIH, il est établi dans des modèles précliniques, que le maraviroc favorise la récupération cognitive dans des contextes neuroinflammatoires induits par un choc traumatique, un accident vasculaire ou au cours du vieillissement. L’effet semble être dépendant d’une signalisation par CCR5 intrinsèque aux cellules résidentes du système nerveux central, telles que les neurones et la microglie.
Toxoplasma gondii est un parasite intracellulaire qui persiste de façon latente dans les neurones. Des évidences suggèrent que cette infection chronique peut faire le lit de divers troubles neuropsychiatriques. Notre équipe a récemment développé des modèles de toxoplasmose chez la souris qui miment les situations physiopathologiques retrouvées chez l’humain : encéphalite, latence, ou clairance. Ces modèles nous ont permis de cartographier en détails la neuroinflammation et les dysfonctions cognitives associées à l’infection, dont certaines (déficits de mémoire spatiale) évoquent les TNC-VIH. A ce jour, l’implication de CCR5 dans les altérations comportementales associées à T. gondii n’est pas connue, mais nous avons montré que l’infection par T. gondii accroit la production de ligands de CCR5 dans le cerveau.
Dans ce contexte, nous formulons l’hypothèse que l’effet aggravateur de l’infection par T. gondii sur les TNC-VIH pourrait être causé par la sur-activation du récepteur CCR5, et, par conséquent, que le maraviroc pourrait améliorer les TNC-VIH, de façon sélective chez les PvVIH T. gondii+. Avant de pouvoir tester cette hypothèse chez l’être humain, l’objectif du projet MARADYSCO est d’évaluer, dans 2 modèles précliniques d’infection chronique par T. gondii (latence et encéphalite), l’effet du maraviroc sur la neuroinflammation et les performances cognitives des animaux. Nous prédisons que le maraviroc pourrait restaurer les déficits mnésiques des souris infectées par T. gondii. Nos expériences permettront aussi d’analyser si l’impact du maraviroc sur le comportement est lié à l’inhibition de la transmigration des cellules immunitaires dans le cerveau, et/ou à une action sur des populations résidentes telles que la microglie ou les neurones.
Des liens de causalité entre neuroinflammation et dysfonctions cognitives sont décrits dans plusieurs situations (neurodégénérescence, ischémie, choc traumatique, infections), mais les mécanismes neuroimmunitaires moléculaires à l’origine de ces perturbations restent peu élucidés. Le caractère novateur de notre projet est d’interroger pour la première fois, à l’aide de modèles précliniques originaux, maîtrisés et caractérisés en détails sur les plans neuroinflammatoires et comportementaux, l’implication d’une voie particulière du chimiotactisme (et d’entrée du VIH) dans les désordres neurocognitifs. Il pourrait conduire à réévaluer l’intérêt du maraviroc sur les TNC-VIH, en prenant en compte l’exposition préalable des sujets à T. gondii.