Lauréates des prix de thèse Dominique Dormont 2023 : Melissa Ait Said et Alice Decombe

Le 2 mai 2024 ont été décernés à Melissa Ait Said et Alice Decombe le prix de thèse Dominique Dormont pour la recherche fondamentale et translationnelle sur le VIH. Ces prix ont été remis conjointement par l’ANRS Maladies infectieuses émergentes et par la Société Française de Virologie.

Publié le 02 mai 2024

L’essentiel

Le 2 mai 2024 a eu lieu le Work in progress (WIP), la réunion annuelle de l’action coordonnée « Interactions Hôte-VIH, recherche fondamentale et translationnelle » (AC 41) de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes. A cette occasion, deux prix de thèse Dominique Dormont ont été remis à Melissa Ait Said, de l’équipe Interactions hôte-virus, Institut Cochin, Paris, et à Alice Decombe, du laboratoire Architecture et Fonction des Macromolécules Biologiques, CNRS, Aix-Marseille Université. Ces prix, remis par par l’ANRS MIE et la Société Française de Virologie, récompensent deux scientifiques dont les travaux de recherche sur le VIH ont marqué le domaine par leur grande qualité, leur originalité et leur caractère innovant.

Pour présenter leurs travaux, Melissa Ait Said et Alice Decombe ont accepté de répondre à quelques questions.

Elles répondent à nos questions :

Quel est votre parcours ? Pourquoi vous êtes-vous orientées vers la recherche ?

Melissa Ait Said : Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai choisi de quitter mon pays natal pour réaliser mes études supérieures en France, avec pour projet de m’orienter vers la recherche biomédicale. Ce choix d’orientation a été motivé par mon envie d’explorer le fonctionnement du vivant et d’apporter des réponses expérimentales tangibles à des questions biologiques théoriques. Comme je souhaitais suivre une formation transversale, à l’interface entre sciences fondamentales et prise en charge thérapeutique, j’ai intégré un double-cursus Pharmacie-Sciences à l’Université Grenoble-Alpes. J’ai ensuite complété ma formation par un Master 2 en Virologie Moléculaire et Médicale à l’Université Paris Cité, car j’étais fascinée par la fabuleuse coévolution moléculaire entre virus et cellule-hôte. Enfin, attirée par la dimension globale et transdisciplinaire que revêt la lutte contre le VIH, j’ai rejoint l’équipe « Interactions hôte-virus » codirigée par le Dr Clarisse Berlioz-Torrent et le Dr Stéphane Emiliani, à l’Institut Cochin, pour y réaliser ma thèse en infectiologie sous la direction du Dr Stéphane Emiliani.

Alice Decombe : J’ai détesté la SVT jusqu’en terminale où j’ai eu une révélation, grâce à un professeur passionné et passionnant (merci Mr Boscq!). J’ai poursuivi cette matière dans les études supérieures et arrivée à la fin de ma licence en Sciences de la Vie et de la Santé, j’ai compris que je voulais aller le plus loin possible dans les études de biologie. On m’avait ouvert les yeux sur le monde, et je voulais en découvrir toujours plus. J’ai intégré l’Ecole Normale Supérieure de Paris pour suivre un  M1 interdiscplinaire en Sciences de la Vie, puis j’ai préparé et passé l’agrégation de SVT avant de me spécialiser avec un M2 en Virologie Fondamentale. Ce type de parcours permet de réaliser des stages et de rencontrer de nombreux chercheurs, ce qui donne une ouverture formidable sur le domaine de la recherche. La sensation de liberté intellectuelle que je ressens depuis, lorsque que je me pose des questions, lorsque j’apprends, que j’expérimente ou que je cherche de nouvelles idées, m’a naturellement convaincue de persévérer dans cette voie, en faisant une thèse sur un sujet qui me passionne : les virus.

Sur quel sujet porte votre travail de thèse ?

Melissa Ait Said : 40 ans après la découverte du VIH, l’une des barrières majeures à la guérison des patients réside dans la persistance de réservoirs de cellules infectées de façon latente. Ces cellules échappent aussi bien au contrôle du système immunitaire qu’à l’action des molécules antirétrovirales, et abritent au sein de leur génome des copies virales silencieuses capables de se réactiver. Pour les cibler efficacement, l’un des principaux enjeux actuels est de mieux comprendre les mécanismes moléculaires qui gouvernent la mise sous silence du VIH dans ces réservoirs. C’est dans le cadre de cette thématique « HIV Cure » que s’inscrivent mes travaux de thèse dont l’objectif était d’identifier de nouveaux déterminants moléculaires impliqués dans le maintien sous silence du VIH-1. Au cours de ma thèse, je me suis particulièrement intéressée au rôle des facteurs cellulaires de terminaison de la transcription dans la régulation de l’expression du VIH-1 dans les cellules infectées de façon latente.

Alice Decombe : Ce travail de thèse sur le VIH-1 s’est intéressé à une étape critique du cycle de réplication propre à ce type de virus : la transcription inverse. Il s’agit d’une étape où le virus recopie son génome ARN en une copie ADN, qui est ensuite intégrée au génome ADN de la cellule hôte. L’ADN viral étant présent au sein même du génome de la personne infectée, il est extrêmement complexe d’éliminer complètement le virus. La transcription inverse est un processus qui a été beaucoup étudié, et la protéine virale qui réalise cette étape, appelée « RT », est la cible de nombreux traitements anti-VIH. Néanmoins, la découverte récente d’étiquettes moléculaires qui décorent l’ARN génomique du VIH-1, appelées marques épitranscriptomiques, a posé la question de savoir si ces petites modifications biochimiques pouvaient impacter les interactions et activités des protéines virales. Nous avons alors caractérisé, au niveau cellulaire et biochimique, l’activité de la RT en complexe avec les ARN modifiés par des marques épitranscriptomiques particulières, les 2′-O-méthylations, pour mieux comprendre leur rôle dans la réplication du virus.

Quel est le résultat de votre travail de thèse le plus marquant selon vous ?

Melissa Ait Said : Très rapidement après le début de ma thèse, nous avons identifié que parmi plus d’une dizaine de facteurs de terminaison, seule une protéine clé, PCF11, joue un rôle majeur dans la régulation de la transcription du VIH-1. Dès lors, je me suis consacrée à l’étude des mécanismes transcriptionnels sous-jacents en explorant de nombreuses hypothèses. De façon remarquable, nous avons mis en évidence que PCF11 interagit avec un nouveau facteur de terminaison non-canonique : WDR82. Dans des cellules infectées de façon latente, nous avons identifié que PCF11 et WDR82 sont recrutées de manière interdépendante au niveau du promoteur viral pour forcer l’arrêt prématuré de sa transcription. Le résultat le plus marquant de mon travail de thèse serait donc l’identification d’un nouveau complexe cellulaire de terminaison de la transcription et la caractérisation de sa contribution à la mise sous silence du VIH-1.

Alice Decombe : Nous avons démontré que les 2′-O-méthylations sont des modifications naturelles des ARN qui ont un effet antiviral sous certaines conditions, notamment dans certains types cellulaires (cellules « dormantes »). En effet, elles bloquent l’activité de la RT, qui marque des pauses dans la copie du génome du VIH. Cela démontre que les marques épitranscriptomiques des ARN, telles que les  2′-O-méthylations, se doivent d’être prises en compte dans les études futures sur les interactions entre protéines et ARN viraux, car elles peuvent fortement les modifier (inhibition ou amélioration de ces interactions).

Que proposeriez-vous pour poursuivre vos travaux ? Quels sont les grands défis à relever selon vous dans ce domaine ?

Melissa Ait Said : L’étude de la réplication des virus en général, et celle du VIH en particulier, a permis de décrypter de nombreux processus cellulaires. Dans cette optique, je suis convaincue que le rôle du complexe PCF11/WDR82 que nous avons identifié ne se limite pas à la régulation de la transcription du VIH. Il serait donc intéressant de caractériser les fonctions entre inconnues de ce nouveau complexe à l’échelle du transcriptome cellulaire. A ce propos, le développement des technologies « omiques » offre une opportunité inédite de caractériser précisément l’expression du VIH dans les cellules infectées de façon latente. L’un des défis à relever dans ce domaine serait d’identifier une empreinte moléculaire spécifique aux cellules qui abritent des formes latentes du virus pour pouvoir détecter, quantifier et cibler efficacement les réservoirs. Combiner des approches d’immunologie et de génétique pour mieux comprendre les mécanismes de persistance du VIH dans leur hétérogénéité permettrait de relever le défi d’améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH en assurant leur guérison libre de traitements.

Alice Decombe : Cette thèse ouvre de nombreuses perspectives, notamment sur l’étude des effets des marques épitranscriptomiques sur les polymérases virales qui recopient le génome d’autres virus à ARN. Il serait aussi pertinent de chercher dans nos cellules quelles enzymes seraient naturellement capables de déposer des 2′-O-méthylations sur les ARN viraux pour nous défendre contre les virus, et si à l’inverse des virus ont développé des stratégies pour les éviter.  De plus, l’effet antiviral des 2′-O-méthylations pourrait potentiellement être exploité dans le développement de stratégies antivirales visant à bloquer l’activité des polymérases des virus. Une grande avancée serait de pouvoir déposer à façon des marques épitranscriptomiques telles que les 2′-O-méthylations sur des sites précis des ARN viraux ou cellulaires, pour modifier leurs interactions avec les protéines, et inhiber de façon critique la copie des génomes viraux par exemple.

Après la thèse, quelle est la suite de votre projet professionnel ?

Melissa Ait Said : Immédiatement après ma thèse, j’ai rejoint l’équipe « Biologie des Virus Émergents » dirigée par le Dr Ali Amara à l’Institut de Recherche Saint-Louis pour y réaliser mes travaux de thèse d’exercice de pharmacie sous la direction du Pr Constance Delaugerre et du Pr Jean-Michel Molina. Cette expérience en recherche translationnelle me permet d’interagir avec des cliniciens et d’adopter une approche pluridisciplinaire que je souhaite conserver dans mes aventures scientifiques futures. J’ai pour projet de poursuivre mon parcours dans la recherche académique par une expérience postdoctorale outre-Atlantique durant laquelle j’envisage d’étudier l’impact des infections virales sur la biogénèse des ARN cellulaires, de leur transcription à leur dégradation. A l’avenir, j’aimerais continuer à mener une recherche fondamentale collaborative qui ouvre la voie à de potentielles applications thérapeutiques. J’espère ainsi contribuer à la résolution de problématiques de santé globale.

Alice Decombe : Je poursuis actuellement ma carrière en recherche avec un post-doctorat en laboratoire dans le secteur public. Je souhaite continuer de me former aux méthodes de biologie structurale qui permettent d’observer et de comprendre les virus. En parallèle, ma passion pour l’enseignement me motive à me diriger vers les concours de maitre de conférence à l’université, ce qui me permettrait de ne pas avoir à choisir entre recherche et formation des étudiants. Ces deux activités me semblent en effet très complémentaires et enrichissantes, scientifiquement et humainement.